La gestion des conflits dans les pays africains, Recyclage des grands acteurs par l’IPSTC(InternationalPeace Support Training Centre)
Nairobi, du 28 Février au 11 Mars 2017
Le Centre Ubuntu est un laboratoire d’analyse et de réflexions sur les mutations en cours.Il focalise ses actions sur la résolution des conflits par la restauration d’un climat social sain au sein des communautés affectées par le conflit. Ledit Centre ne se contente pas seulement de l’expérience vécue au quotidien en tant qu’acteur national dans le domaine de la paix et du développement, il va aussi au delà des frontières pour puiser les expériences d’ailleurs en matière de prévention et de gestion des conflits. Ce renforcement du personnel œuvrant pour le Centre Ubuntu se fait soit à travers les formations organisées par les institutions nationales,soit via les fora internationaux. Madame Antoinette Irarera est une Psychologue qui travaille au Centre Ubuntu en tant que formatrice et intervenant en appui psychosocial au sein des communautés locales, mais aussi elle s’intéresse aux domaines liés à la consolidation de la paix. Elle a été envoyée au Kenya pour participer aux cours intensifs sur l’analyse et la prévention des conflits en Afrique. Ces cours ont duré deux semaines du 28 février au 11 mars 2017 au Kenya-Nairobi, dans la ville de Karen. Ces études ont été organisées par l’International Peace Support Training Centre(IPSTC)dans l’optique de renforcer les capacités des intervenants en matière de paix dans les pays Africains, surtout ceux qui ont été fortement touchés par le conflit. Neuf pays à savoir le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, le Sud Soudan, les îles Comores, la Somalie, le Mali, le Malawi et le Rwanda avaient été représentés dans ces assises.Dans cet article, Madame Antoinette écrit essentiellement sur deux points qui l’ont considérablement marquée au cours de son séjour académique à Karen city : Les causes et les effets des conflits.
Pourquoi analyser le conflit ?
Contexte Une analyse du contexte est nécessaire pour guider le choix des stratégies d'intervention les plus efficaces pour prévenir la violence. Compte tenu d'un contexte spécifique, des signes d'alerte précoce appropriés et des indicateurs peuvent être sélectionnés et les outils appropriés pour une intervention éventuelle peuvent être identifiés. Le contexte est ici défini en termes de causes du conflit et les différentes phases du cycle de conflit.
I. Les causes du conflit
La connaissance des facteurs d'origine d'un conflit est fondamentale dans le choix des bons outils de prévention et des bonnes cibles d'intervention. L'approche de gestion des conflits implique d'examiner les causes tout en pensant aux solutions. Pour cette raison, il est important d'identifier les éléments sur lesquels il est possible d'agir afin d'influencer l'évolution du conflit. Les théories générales de la guerre qui indiquent des éléments structurels tels que l'anarchie (voir Kenneth Waltz) ou le dilemme de sécurité (voir Barry Posen) ne suffisent pas. Certains auteurs suggèrent de rechercher des chaînes causales, en tant que facteurs et événements interconnectés qui ont mené au développement d'un conflit, puis à l'allongement d'un conflit. Ce type d'analyse aide à définir différentes catégories de causes, chacune influençant d'une manière différente l'évolution du conflit. Le domaine de la psychologie sociale a également favorisé notre compréhension des causes des conflits en mettant l'accent sur les attitudes et les comportements des individus et de leurs collectivités. L'intervention préventive est plus efficace lorsqu'on s'attaque à certains facteurs plutôt qu'à d'autres, ce qui implique différentes implications politiques. Nous considérons les catégories de facteurs causales suivantes :
• Causes sous-jacentes ou conditions permissives
• Causes immédiates ou déclencheurs
Les causes sous-jacentes créent les conditions nécessaires au développement d'un conflit. Les conditions permissives peuvent être de différentes sortes: structurelles; politique; socio-économique; culturel ou perceptif. Bien que la présence de ces conditions préalables détermine si une société est ou non enclin à un conflit, elle ne dit rien sur le moment et le temps entre le conflit et la violence. Les conflits font souvent partie intégrante de la dynamique sociale et du moteur du développement social et politique. Seuls les conflits qui deviennent violents sont perturbateurs et nuisibles.
Les déclencheurs provoquent une escalade et déterminent si un conflit devient violent ou non. Ce sont les variables qui doivent être connues pour contrôler l'escalade et qui doivent être ciblées dans une action préventive. Les causes immédiates peuvent généralement être définies comme des changements rapides et inattendus dans l'une des causes sous-jacentes. Le changement agit comme un facteur catalytique provoquant l'inflammation des conflits violents. On peut introduire une autre distinction entre les facteurs de masse et les facteurs élites. Les facteurs de masse se rapportent aux forces structurelles, économiques et culturelles qui influencent les perceptions partagées et l'hostilité diffusée. Les facteurs d'élite se réfèrent au comportement de dirigeants spécifiques, assignant des responsabilités politiques précises aux promoteurs des politiques qui alimentent délibérément les conflits. Ces derniers facteurs constituent la catégorie de déclencheurs qui sont plus facilement reconnus et sur lesquels la diplomatie préventive peut se concentrer sur des interventions ponctuelles efficaces. Les conditions de tolérance, à l'inverse, seraient la cible d'initiatives de prévention structurelle.
De manière similaire, on peut classer différents facteurs comme suit:
• Facteurs structurels
• Facteurs dynamiques
Les facteurs structurels ne produisent que des actes de violence «à distance et indirectement»; Les facteurs dynamiques sont plus «directs et immédiats». Dans chaque conflit, il est possible de définir les sources d'incompatibilités entre les différents groupes et les facteurs qui déterminent si le différend sera réglé pacifiquement ou se transformera en violence. On constate que la définition des facteurs structurels pertinents n'est pas toujours utile aux décideurs et praticiens qui doivent agir avec des ressources limitées, dans un laps de temps limité.
Les facteurs dynamiques qui influent sur l'évolution du conflit doivent être repérés afin d'identifier les points stratégiques auxquels les interventions peuvent avoir des résultats réels.Sur la base de cette distinction, trois catégories de causes sont énumérées:
• Les legs reçus et les conditions socio-économiques : Ce sont des facteurs qui sont hérités du passé et qui ne peuvent être modifiés à court terme.
• Institutions et processus politiques :Normes et institutions qui peuvent être suivies et modifiées à moyen terme, influençant le comportement des parties en conflit.
• Actions des protagonistes: Montrent comment les groupes et leurs dirigeants perçoivent la situation et comment ils réagissent. Ces comportements pourraient être influencés et changés à court terme.
Les participants suivent un documentaire sur le conflit violent en Centrafrique
Les participants réalisent une conférence de presse pour donner un message de réconciliation aux acteurs en conflit au Sud Soudan.
Travaux de groupe sur le cas du conflit au Sud Soudan
ÉTAPES DU CONFLIT
Première étape: la «phase latente»,
Les personnes en conflit ne sont pas encore conscientes qu'un conflit ouvert pourra exister, mais les conditions du conflit sont déjà là: des objectifs, des intérêts, des besoins incompatibles, etc. Chacun croit que la raison lui appartient et reste dans son coin, cramponné sur ses convictions ou perceptions. Les parties ne peuvent pas prendre conscience du conflit jusqu'à ce qu'un événement déclencheur se produise. Dans cette phase, le conflit est présent mais à un niveau d'intensité très faible. Les leaders commencent officieusement à mobiliser le mécontentement collectif, mais sans les catalyser en groupes organisés. La partie adverse ne s’en rend pas souvent compte sauf en cas de croisement à la recherche des mêmes intérêts. L'action préventive à ce stade n'est pas risquée et a des retombées potentiellementélevées.
Deuxième étape: L'émergence ou gestation des conflits ou la "phase perçue"
Ce stade marque l'émergence du conflit lorsque les parties impliquées dans un conflit prennent pleinement conscience qu'il ya un conflit. Par exemple, il peut être marqué par un voisin dont le bétail a été confisqué pour être mobilisé pour une réponse. C’est un élément déclencheur du conflit. Dans la phase de gestation, les problèmes soulevés et les groupes en conflit sont plus définis. Les relations entre groupes sont politisées et la mobilisation populaire est telle que même les élites qui ne manipulent pas les incompatibilités doivent réagir et faire face au mécontentement populaire. À mesure que la polarisation entre les groupes augmente, la possibilité de violence est plus élevée et des incidents à petite échelle peuvent se produire. Les liens transversaux et les liens inter-élite sont toujours présents mais les problèmes sont encore négociables. Les coûts des actions préventives augmentent, mais les retombées potentielles sont toujours positives.
Troisième étape: Escalade ou Stade manifeste de du conflit.
C’est le stade pendant lequel le conflit peut être observé. L'état manifeste du conflit peut prendre plusieurs formes ou toute situation dans laquelle le conflit pourrait être observé: la partie lésée peut traverser la frontière pour exiger sa réparation par exemple ou déposer des revendications chez les instances habilitées,etc.
En effet, à ce stade, un changement réel ou perçu dans les conditions économiques, relations sociales ou politiques des groupes peut déclencher l'escalade. Le début de la violence de masse constitue un seuil fondamental de conflit. Les liens inter-élites se décomposent, les interactions sociales se concentrent sur la violence organisée à mesure que les échanges politiques se fanent. La violence augmente; les adversaires perdent leur confiance et estiment qu'ils ne peuvent pas compromettre. La violence rend l'intervention risquée et coûteuse. Même à ce stade, il est possible d'agir afin de prévenir que les violences augmentent et finissent par se propager vers d'autres régions ou d’autres groupes.
Quatrième étape: Stade du conflit violent
Si aucun effort n'est fait pour résoudre le conflit, il passe à l'étape d'impasse qui est souvent marqué par une situation où une des parties ne peut pas gagner. C'est la phase la plus destructrice du conflit et alors appelle aux efforts pour résoudre le conflit.
Cinquième étape: Étape de résolution du conflit / négociations
A ce stade, les parties peuvent convenir de négocier en vue de résoudre le conflit. Dépendamment de la lourdeur du conflit, les protagonistes peuvent faire recours à la médiation. Il marque une période de cessation des hostilités au fur et à la mesure des négociations. Cette étape implique la période où le conflit est réglé. Il peut se terminer par un scénario gagnant-gagnant où les parties au conflit acceptent de régler leurs différends. Ou il peut se retrouver dans une situation de gagnant-perdant(le conflit peut resurgir plus tard d’où le cycle de violence) où une partie émerge avec le plus grand gain du processus de réinstallation.Après la dégradation de la violence, les interventions préventives visent à rétablir les liens pacifiques et les canaux de communication entre les groupes en conflit, afin d'éviter un nouveau cycle de violence. La phase peut être divisée en deux parties distinctes:
- Une phase de construction à court terme dans laquelle les processus de désarmement et de démobilisation favorisent une nouvelle confiance.
- Une phase de développement institutionnel à long terme dans laquelle la reconstruction sociale, politique et économique contribue à redessiner les relations intergroupes. Le renforcement des institutions et la démocratisation devraient jeter les bases d'une paix durable
II. Effets des conflits en Afrique
Introduction
Deux milliards de personnes vivent dans des pays où les résultats en matière de développement sont affectés par la fragilité, les conflits et la violence. D'ici 2030, la part des pauvres dans le monde vivant dans des situations fragiles et touchées par le conflit devrait atteindre 46%. Les incidents de terrorisme ont augmenté de 120% depuis 2012. Le déplacement forcé est une crise mondiale du développement: 95% des réfugiés et des personnes déplacées vivent dans des pays en développement.
Selon le dictionnaire Merriam-Webster, un effet est un changement qui se produit lorsque quelque chose est fait ou se produit, un événement, une condition ou un état de choses qui est produit par une cause, alors que l'impact signifie avoir un effet fort et souvent mauvais (quelque chose Ou quelqu'un).
Par conséquent, les effets de la perspective de conflit signifient des conséquences négatives immédiates ou à court terme d'un conflit violent alors que l'impact se réfère à un effet à grande échelle, généralement négatif à plus long terme.
Les conflits armés ont des répercussions multiples, à long et à court terme sur le développement et sur le bien-être de l'environnement et de l'être humain. Les effets, même des conflits internes, se font sentir à différents niveaux spatiaux, dans les zones immédiates de conflit, et souvent dans les pays voisins. Les partis politiques se divisent selon les lignes d'identité, les manipulations politiques. L'effondrement des institutions publiques ou l'incapacité de ces institutions à faire face.Les conflits peuvent conduire à de vastes zones sous le contrôle des acteurs non étatiques.Désintégration du tissu politique. Il peut y avoir un affaiblissement des institutions environnementales et des systèmes de gouvernance, entraînant une capacité de gestion plus faible.Affaiblissement des institutions environnementales et des systèmes de gouvernance, la mauvaise gouvernance et la corruption.
Les effets socio culturels
- Violations des droits humains
- Déplacement
- L'insécurité alimentaire
- Mauvaise gouvernance
- Familles brisées, séparations des foyers
- Augmentation des maladies, comme le choléra
- Malnutrition
- Taux de mortalité élevé
- Répartition religieuse
Les effets socio économiques
- Collapse des institutions publiques
- Dégradation de l'environnement et des terres
- La destruction et la désintégration de l'infrastructure
- Manque de services essentiels
- Diminution du sens de la citoyenneté
- Rétrécissement de la société civile
- Déclin de la capacité de l'Etat
- Réduction des revenus et réduction des dépenses publiques
- La stagnation économique résultant d'une chute des exportations, de l'hyper inflation, de la dépréciation du taux de change, du désinvestissement et de la fuite des capitaux
Les effets environnementaux.
- Dégradation de l'environnement(les routes, les ponts…)
- Destruction des biens publics
- Forêts détruites
- Mauvaises méthodes d'élevage,
A ce point, la vulnérabilité humaine se traduit non seulement par l'exposition à des changements environnementaux négatifs, mais aussi par la capacité de faire face à un tel changement par l'adaptation ou l'atténuation.
Insécurité alimentaire
Les sécheresses historiques en Afrique orientale et australe ont fait monter les prix des denrées alimentaires à un niveau très élevé, ce qui a doublé le prix des céréales de base dans certaines régions.Cependant, les zones de la plus grande insécurité alimentaire sont les personnes touchées par les conflits. Un arc de pays touchés par le conflit, qui se chevauchent largement dans les régions où règne la plus grande insécurité alimentaire, s'étend du centre du continent de la Somalie au Mali.En plus de perturber la production, les conflits réduisent les marchés qui alimenteraient habituellement les zones de plus grande pénurie. Dans certains endroits, les conflits empêchent même de procéder à une évaluation complète du niveau d'insécurité alimentaire(Yémen). Et parce que les pays en conflit n'ont pas la résilience ou les mécanismes d'adaptation des zones plus stables, leurs crises alimentaires ont tendance à durer plus longtemps et ont un impact plus durable.Dix-neuf pays africains sont confrontés à des crises, à l'urgence ou à des niveaux catastrophiques d'insécurité alimentaire. Dix de ces pays connaissent un conflit civil. Huit sont également la source de 82% des 18,5 millions d'Africains déplacés à l'intérieur du pays ou des réfugiés.
Crise humanitaire
Au 31 janvier 2017, les plans coordonnés des Nations Unies pour les appels et les mesures d'éligibilité dans le cadre de l’aperçu humanitaire mondial exigent 22,5 milliards de dollars pour répondre aux besoins humanitaires de 93,5 millions de personnes touchées par la crise dans 33 pays.
Déplacements des populations
Bien que le nombre total de réfugiés en Afrique ait augmenté de manière significative et constante au cours des cinq dernières années, il est encore inférieur au nombre observé au début des années 1990.
- 1992 : 17,8 millions de réfugiés
- 2011 : 10,4 millions de refugiés.
- 2015 :16,1millions de refugiés.
- 2016 :16,5 millions de réfugiés d'ici le milieu de l'année
Conclusion
Le cercle des conflits nous aide à comprendre la nature et les causes d'un conflit en catégorisant les causes et les moteurs des conflits en se concentrant sur ceux-ci et en essayant de résoudre ou de les gérer plus ou moins pacifiquement.Ce cercle est en effet applicable à différents types de conflits. La façon dont les individus interagissent avec l'environnement est le principal déterminant du conflit ou de la paix. Le conflit n'est pas donc inhérent aux êtres humains dans le désir de dominer les autres. Le conflit est un comportement appris en interaction avec l'environnementqui peut être géré pacifiquement et faire évoluer les sociétés.
Documents consultés. :
1. Cours sur l’Analyse et la prévention des conflits en Afrique (Conflict analysis and prevention course).Dr Stefen Singo Mwachofi, Consultant et Professeur d’Université au Kenya.
2. Cours sur les causes et effets des conflits en Afrique,(Causes and effects of conflict in Africa)Catherine Cherotich, Formatrice et Planificatrice des cours à l’IPSTC
3. Film Documentaire sur le conflit en Centre Afrique ( Film on conflict in Republic of Centrafrica)
4. Théories sur la prevention du Conflit ( Overview of conflict prevention). Professeur, Joseph KioiMbugua, consultant et chercheur.
5. Film documentaire sur la justice et la mémoire en tant que mécanismes de vérité et réconciliation en Afrique du Sud (Film on Truth, Justice, Memory, South Africa’s Truth and Reconciliation process).
Antoinette IRARERA du Centre Ubuntu
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