La mise en place des Mécanismes de Justice Transitionnelle au Burundi pourra-t- elle déclencher la réapparition des anciens traumatismes et/ou la naissance de nouveaux?

Nul n’ignore que le Burundi a vécu certaines périodes sombres qui, selon la convention entre le Gouvernement du Burundi et l’ONU, doivent être revisitées pour  mettre la vérité à la surface. A ce sujet,  des Mécanismes de Justice Transitionnelle sont en train d’être mis en place pour établir cette vérité, guérir les traumatismes, lutter contre l’impunité et pouvoir entreprendre des réformes capables de sécuriser tout le monde  et pouvant garantir la non répétition des événements qui ont endeuillé notre pays.

La réussite d’un tel projet nécessite l’effort de tout burundais soucieux d’un bon avenir de son pays. Mise à part l’implication du Gouvernement, l’apport de la Société civile, des autres organisations œuvrant pour la paix, la guérison des traumatismes et la réconciliation est d’une grande importance ; notons aussi que la  population burundaise doit faire sien ce processus sans contrainte ni forcing car, au cas contraire, tout peut être voué à l’échec. 

 La question de la prise en charge des traumatismes est importante. En effet, révéler la vérité va sans doute soit faire renaître les anciennes blessures psychologiques, soit créer de nouveaux traumatismes liés à la connaissance de cette vérité. Tout comme la victime, le témoin et le bourreau peuvent aussi être traumatisés. Avec la recherche de la vérité, il y aura multiples comportements et/ou attitudes problématiques au sein de la population burundaise souvent difficiles à gérer.

Face à cette problématique, le Centre Ubuntu s’est engagé à mener des sessions d’échanges et de sensibilisation communautaire sur la mise en place des mécanismes de justice transitionnelle et sur les traumatismes qui pourraient survenir suite à la mise en place de ces mécanismes. Notre objectif ici est d’aider la population à être consciente des comportements/attitudes problématiques, considérés comme des signes du traumatisme, qui pourront naître au moment de cette recherche de la vérité. Nous voulons montrer à chaque membre de la communauté qu’il est capable de faire quelque chose, soit pour prévenir, soit pour aider les gens qui seront emportés par les émotions.  Les idées exprimées ici viennent de l’expérience vécue avec quelques communautés des communes Ruhororo en province de Ngozi, Ruyigi et Butaganzwa en province Ruyigi. Voici alors les inquiétudes et les idées émis par quelques participants parmi les groupes déjà touchés :

  •  Révéler la vérité est nécessaire mais il y a risque d’entraîner de nouveaux traumatismes et une répétition de violences,
  •   Une fois la vérité mise à jour, plusieurs personnes auront peur et tenteront de s’enfuir,
  • Révéler la vérité va augmenter la suspicion et la méfiance au sein des burundais,
  • C’est plutôt bien d’avoir une loi qui oblige le pardon et la réconciliation sans entrer dans les histoires de vérité,
  • La vérité pourra être entachée de mensonges liés aux petits conflits et aux autres intérêts personnels,
  • Les témoins qui dévoileront les bourreaux risqueront leur vie,
  •  « Nta muntu yokwimena igihute » littéralement, ceci peut signifier : « personne ne peut casser seule son abcès ». Il sera donc difficile pour les auteurs de se dénoncer,
  • C’est totalement impossible de pardonner celui qui a tué les tiens,
  • Tous les crimes commis prennent racine dans les idéologies des hautes autorités,
  • Certaines personnes se posent la question de savoir quelle est cette vérité que l’on cherche ? Et à qui est-elle destinée ?
  •  Certaines personnes croient que, parmi ceux qui vont chercher cette vérité, il y en a qui auraient commis des crimes,
  • Il y a risque de fragiliser encore les esprits des burundais qui, aujourd’hui, étaient déjà tranquilles.
  •  La place de la justice et ses limites dans ces mécanismes ne sont pas claires,
  •  La mise en place de ces mécanismes peut se heurter à des obstacles au cas où la sensibilisation n’est pas faite avant.

En plus de ces inquiétudes, les participants souhaitent que:

  • il y ait mise sur pieds des comités mixtes (hutu – tutsi) qui peuvent aider dans la sensibilisation. Cela aidera beaucoup dans la préparation des esprits,
  •  il y ait arrêt immédiat de la criminalité actuelle,
  •  le gouvernement arrête ce mécanisme pour ne pas créer de nouveaux traumatismes dans le pays,
  •  celui qui a déclenché la guerre paie tous les dommages causés,
  • les hautes autorités commencent à donner l’exemple sur la vérité et le peuple suivra leur modèle,
  •  la Commission Vérité - Réconciliation (toutes ethnies confondues) commence par la sensibilisation pour que le peuple sache ce qui va se passer.

Exemples de ce que la communauté s’engage à faire pour atténuer la tension et soulager les gens en proie à des traumatismes

  • s’approcher des gens traumatisés et les orienter chez les psychologues ou les associations qui s’occupent de la prise en charge des traumatismes,
  •  Donner des conseils à ceux qui vont tenter d’adopter un esprit revanchard,
  • Sensibiliser et débattre ensemble de cette question,
  • Les chrétiens vont organiser des sessions de prière pour aider les gens à se pardonner.

En conclusion, à entendre les idées des groupes avec lesquels nous nous sommes entretenus, nous risquons de croire que ces mécanismes restent incompris par un bonne partie de la population burundaise. Tous les principaux acteurs concernés par la mise en place de ces mécanismes devraient revoir la question et planifier des sessions de sensibilisation pour que le gros du peuple burundais sache et soit préparé à temps. Au cours des discussions, les idées tournaient autour de la justice, du pardon et de la réparation. Certains mettaient en avant la justice, d’autres prônaient le pardon (sans faire intervenir la justice) au moment où d’autres proposaient deux options : la justice d’abord, le pardon après.

Personne ne peut dire que tel a tort et que tel autre a raison du moment que, en l’absence d’une compréhension commune qui pourrait venir des acteurs impliqués dans ce processus, les gens ont droit aux avis divergents et les deux  ne sont pas conscients de ce qui est légalement et logiquement (avec un peu de réalisme) partagé par l’opinion tant nationale qu’internationale pouvant sauvegarder les intérêts de tous.

              

                                                                                                                                                                                                                                 Anicet NSABIMANA 

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