La Tanzanie, l’eldorado pour la jeunesse burundaise ?
Dans le cadre du projet « BBB - Building Bridges in Burundi, Dutsimbataze Amahoro », en collaboration avec les organisations Cord et Geste Humanitaire, et dans le projet «Consolidation des acquis de la paix par les théâtres axés sur les valeurs » réalisé en collaboration avec l’Unicef, le Centre Ubuntu travaille avec des groupes diversifiés des jeunes. Parmi eux, il y a ceux des provinces frontalières avec la Tanzanie (Rutana, Makamba, Rumonge). Pour mieux travailler avec ces jeunes, les membres de l’équipe du Centre Ubuntu animent des séances de théâtre narratif cherchant à connaître les problèmes psychosociaux fréquents dans les communautés sociales de ces jeunes.
Quel est ce phénomène de ruée des jeunes vers la Tanzanie ?
Avec les séances de théâtre narratif animées à Giharo (province Rutana), à Mpinga Kayove (province Rutana) et à Kayogoro (province Makamba), il a été constaté que le phénomène des mouvements incessants des jeunes vers la Tanzanie est un problème sérieux auquel il faut trouver de sérieuses solutions. Pourquoi ce phénomène ?
Les uns parlent de mouvements, les autres parlent de l’errance (gukera, gusafira). Au départ, il y a la promesse alléchante de l’embauche dans des champs de tabac. Avec des commissionnaires aguerris, des jeunes burundais quittent le pays, souvent à l’insu de leurs parents. L’espoir est de gagner beaucoup d’argent pour sortir de la misère dans laquelle ils croupissent. Un jeune de la colline Gatonga (Giharo) témoigne : « J’avais un ami sur la colline Gatonga. Il a été entrainé en Tanzanie par un garçon de la même colline qui avait l’habitude d’aller travailler dans des champs de tabac.Mon ami est parti sans informer ses parents. Arrivé là, il a travaillé mais son patron ne l’a pas rémunéré. Entre temps ses parents le cherchaient sans le trouver. Ils ont plus tard appris qu’il s’est rendu en Tanzanie puis ont décidé d’aller le chercher. Ils l’ont trouvé dans un mauvais état, abîmé par les drogues, laissé à lui-même ».
Un phénomène qui embarque même des jeunes qui n’ont pas encore la maturité pour affronter le travail dur, voire la maturité de décider de leur propre-chef. Des témoignages recueillis auprès de ces jeunes affirment que souvent cette aventure en Tanzanie est une autre forme d’esclavage où les conditions de travail sont dures et ne respectent aucun code d’embauche. Les grandes causes de ce phénomène sont dénoncées par les jeunes eux-mêmes : manque d’occupation, la paresse, manque de politiques claires pour l’emploi, le désespoir, et l’ignorance qui conduit même les élèves à abandonner l’école pour le fameux eldorado tanzanien. Ce jeune homme de Mugondo (Mpinga Kayove) témoigne : « Un de mes camarades de classe a décidé d’abandonner l’école. Il disait qu’il gagnera sa vie en Tanzanie. Pourtant ses parents lui donnaient tout pour mieux étudier. Le jeune homme a commencé à fréquenterles bars, les ligalas (lieux de rassemblement des jeunes pour parler de tout et de rien) et à consommer de l’alcool. N’ayant plus d’argent, il s’est réfugié en Tanzanie pour travailler. Mais il n’a pas tenu longtemps puisque il était soumis aux travaux durs qui dépassaient sa capacité de travailler. Il a été récupéré par une famille tanzanienne qui a fini par se débarrasser de lui puisqu’il était paresseux. Aujourd’hui il est revenu au Burundi mais vit dans la délinquance ».
Les conséquences
Après plusieurs pénibles mois de travail, le salaire n’est pas toujours à la hauteur des efforts fournis. Et parfois quand ces jeunes rentrent au Burundi, ils sont interceptés en cours du chemin, puis dépouillés de leurs biens et finissent par rentrer bredouilles.
Certains de ces jeunes rentrent ayant déjà perdu les valeurs burundaises ; ne sachant plus comment respecter leurs parents, usant d’un langage malsain, avec un accoutrement indécent et parfois se noyant dans la drogue. Ils disent que dans les champs de tabac en Tanzanie, pour avoir assez d’énergie de travail, il faut d’abord se droguer, d’où la dépendance à la drogue.
Une autre conséquence soulignée par les parents de Mpinga Kayove et Giharo est que la majorité des auteurs des grossesses hors-mariage se trouve parmi les jeunes garçons qui reviennent de la Tanzanie avec peu d’argent et qui entraînent les jeunes filles dans le dévergondage sexuel avec des promesses chimériques.
Comme on l’aura compris, il s’ait d’un phénomène qui ne sourit toujours pas aux jeunes ni aux parents, un phénomène qui interpelle le Centre Ubuntu et ses partenaires.
L’apport du Centre Ubuntu
Le constat du Centre Ubuntu est que beaucoup de jeunes des zones frontalières avec la Tanzanie sont souvent tentés à aller chercher de l’emploi dans ce pays. Les jeunes de Kibago, Nyanza-Lac, Rumonge, Mabanda, Kayogoro concordent dans les témoignages sur leurs mésaventures dans le pays de Mwalimu Nyerere. Un jeune homme de Nyentakara (Kayogoro-Makamba) témoigne : « Du fait que nous côtoyons des gens qui ont leur diplôme et qui passent des années et des années sans emploi, cela nous fait perdre l’espoir, notre futur devient incertain. Sur ce, au lieu de rester désœuvrés, nous nous décidons de franchir les frontières pour la Tanzanie dans le but de chercher un emploi si minime soit-il afin que nous puissions trouver quelque chose à mettre sous la dent et ne pas dépendre toujours de nos familles pour ceux qui sont toujours sous le toit de leurs parents. En plus, dans nos milieux, on se marie à un très jeune âge. Il faut toujours chercher à tout prix comment nourrir ses enfants. Bien sûr nous nous y rendons clandestinement, ce qui fait que quand on est attrapé par la police de la Tanzanie, on est chicoté très sérieusement ; mais on n’a pas de choix, après tout on doit vivre, on doit assumer. »
Le Centre Ubuntu est sensible à ce défi de migrations continues vers la Tanzanie. Mais les premières solutions sont proposées par les jeunes eux-mêmes. Ils proposent de multiplier des enseignements en faveur de la jeunesse, créer de l’emploi et mettre en place des initiatives de développement communautaire.
A propos des enseignements, le Centre Ubuntu a proposé la formation sur les compétences de vie courante (CVC). Cette formation qui est d’abord fondée sur la restauration des valeurs, permet une connaissance de soi à travers la prise de conscience de ses forces et de ses faiblesses. Elle permet aussi de renforcer les capacités des personnes à prendre des décisions et faire face aux risques et aux situations d’urgence et de survie auxquels ils peuvent être confrontés en agissant d’une manière positive. Avec les connaissances acquises et guidés par les valeurs d’ubuntu, les individus prennent désormais leur destin et celui de leur communauté en main.
A propos de la création d’emploi et la mise en place des initiatives de développement, le modèle VICOBA a été proposé. Le modèle VICOBA (Village Community Bank) qui existe aujourd’hui en Tanzanie a commencé au Niger sous le nom du modèle MMD (Mata Masu Dubara) qui signifie « les femmes en mouvement ». Le modèle était spécifiquement conçu pour renforcer les femmes financièrement. Le modèle était plus tard adopté par d’autres pays comme le Zimbabwe, le Mozambique, l’Ouganda et l’Erythrée. En Tanzanie, le modèle était modifié et adapté comme « Social and Economic Development Initiation of Tanzania(SEDIT) » en 2002 et baptisé « Village Community Banks (VICOBA) ». Les membres de VICOBA se comptent entre 15 et 30 et se rencontrent chaque semaine pour la mobilisation des fonds venant de leurs propres efforts. Après 12 semaines, c’est là où l’octroi des crédits commence pour ceux qui ont déjà des microprojets à entreprendre. L’objectif de VICOBA est d’apporter un supplément aux revenus de ses membres par la provision des crédits. Ceci facilite l’accès à des prêts pour des personnes n’ayant pas facilement accès à des crédits dans une banque ou dans une structure de microfinance. Elle permet également aux membres de toucher un certain bénéfice après une certaine période d’épargne, donnant ainsi aux membres la possibilité de pouvoir subvenir à leurs besoins élémentaires sans recourir à l’errance.
Aller au-delà
Ces solutions proposées par les jeunes doivent certes attirer l’attention de tous les acteurs qui interviennent dans le secteur de la jeunesse. Toutefois il faut d’abord trouver les racines du mal qui conduit les jeunes au désespoir, à l’errance et au suicide. Il est fort probable que la restauration de certaines valeurs humaines et chrétiennes dans une vision holistique peut être la base de redonner souffle à cette jeunesse en débandade. Pour mieux aider les jeunes et limiter leurs migrations périlleuses vers l’eldorado inconnu, les décideurs des politiques d’emploi, les leaders politiques et religieux, les chefs d’entreprises, les activistes en faveur des droits humains et d’autres acteurs sociaux devraient se reposer la question du développement intégral de l’homme (Cf. l’Encyclique Populorum Progressio du Pape Paul VI, 1967 – l’Encyclique Laudato Si du Pape François, 2015) et redéfinir les politiques échafaudées pour ou contre la vie humaine. Ils doivent connaître sans confusion ni illusion les aspirations toujours actuelles des jeunes : « être affranchis de la misère, trouver plus sûrement leur subsistance, la santé, un emploi stable; participer davantage aux responsabilités, hors de toute oppression, à 1'abri de situations qui offensent leur dignité d'hommes; être plus instruits; en un mot, faire, connaître, et avoir plus, pour être plus »LDORAD (Paul VI, Populorum Progressio, no 6, 1967). Peut-être que le pari pourra être gagné à ce prix.
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