Le Centre Ubuntu pour la consolidation des acquis de la paix
La consolidation des acquis de la paix est fondée sur la vision et la mission du Centre Ubuntu. Celles-ci ouvrent aux stratégies que le Centre utilise non pas seulement pour construire un discours sur la paix mais aussi pour penser au lancement d’initiatives de développement.
I.1. Vision et Mission du Centre Ubuntu
Le Centre Ubuntu, comme Laboratoire d’Analyse et d’Action, a pour vision de promouvoir la paix et la réconciliation basées sur la valeur de l’Ubuntu pour un développement intégral.[1]La valeur de l’Ubuntu « se réfère à la synthèse de toutes les valeurs qui font que la personne humaine est singulière dans son humanité, différentes des autres créatures. »[2]Dans sa mission, le Centre Ubuntu analyse et étudie les mutations historiques en cours, et les influence dans le sens de la valeur d’Ubuntu et des autres valeurs culturelles. Actuellement, cette mission consiste « à reconstruire les personnes et reconstituer les liens sociaux basés sur les valeurs humaines, culturelles et religieuses. »[3] C’est dans cet esprit que parmi ses objectifs le Centre Ubuntu développe une vision de dialogue qui dépasse les différences de confessions religieuses, de partis politiques, d’ethnies, d’origines régionales et du sexe.[4]
Tout en encourageant l’esprit d’initiatives, le Centre Ubuntu s’investit aussi dans des projets concrets « qui vérifient sur le terrain le renforcement de la valeur d’Ubuntu chez les personnes et des catégories de personnes dont leurs « ubuntu » appellent une promotion prioritaire et en répondant aux problèmes de la famille ou de la jeunesse. »[5]
I.2. Stratégies du Centre Ubuntu pour consolider les acquis de la paix
Dans le souci d’une thérapie communautaire et la consolidation des relations interpersonnelles, le Centre s’appuie sur deux principales stratégies : les animations psychosociales et les formations.
I.2.1. Animations psychosociales
Les animations psychosociales constituent une stratégie fondamentalement pratique, simple et vivante qui invite les participants, avec des échanges-débats, à prendre conscience de leurs problèmes psychologiques, comportementaux et sociaux dans le but de chercher ensemble des solutions y relatives. Le travail d’animation psychosociale est une approche centrée sur l’« ici et maintenant » et la création de liens (à soi, à l’autre, à l’environnement) ; il vise une hospitalité réparatrice, une plus grande acceptation et estime de soi, ainsi qu’un sevrage de la violence de l’exclusion intériorisée ou extériorisée. La principale méthodologie utilisée par le Centre Ubuntu pendant les animations psychosociales est le théâtre narratif.
Tout ceci a pour objectif la restauration et le renforcement du capital social si fondamental pour le développement.
D’après Yvonne Sliep, le théâtre narratif est « une forme de counselling auprès des communautés traumatisées. »[6]Avec le théâtre narratif, les gens se rencontrent et examinent leurs problèmes ensemble.
Ils discutent des problèmes qu’ils rencontrent en s’échangeant des histoires réelles de leur vécu et tentent des solutions pour enfin trouver une résolution collective des problèmes.[7] Yvonne souligne que par le théâtre narratif les gens ne racontent pas que des histoires, mais aussi ils les jouent.[8] Les histoires jouées ne sont pas importées, ce sont des faits réels en vigueur dans une certaine communauté. Le but du théâtre narratif est de s’efforcer de trouver des réponses collectives pour résoudre les problèmes individuels et communautaires. En s’appuyant sur les forces d’une communauté, le théâtre narratif aide « les gens à résoudre leurs problèmes d’une façon créative et à progresser vers des résultats qu’ils souhaitent et qui soient réalistes. »[9]
Le théâtre narratif aide aussi à éloigner « les gens de l’habitude de jeter la honte ou le blâme sur les autres, et au contraire, de faciliter la guérison en créant des liens entre les gens. »[10]
Même si le théâtre narratif est divertissant, il va au-delà du divertissement. En effet, comme Yvonne le souligne, le théâtre narratif aide les gens « à surmonter des problèmes ‘mortellement’ sérieux d’une façon qui capte l’attention des gens et fournisse à la fois l’énergie et la possibilité d’examiner et d’expérimenter des voies claires pour avancer. »[11]
Photo : Les jeunes d’Itaba jouent au théâtre narratif.
I.2.2. Processus de formation
Le Centre Ubuntu est convaincu qu’il ne suffit pas d’initier des projets de développement pour consolider les acquis de la paix et réconcilier les jeunes en conflits. Il faut d’abord créer un environnement d’action où les valeurs d’Ubuntu doivent guider toute initiative pour le développement.
Voilà pourquoi un processus de formation est nécessaire où cinq modules sont exploités en collaboration avec les bénéficiaires d’un projet.
1o Formation sur les valeurs
Cette formation consiste à réveiller la conscience des bénéficiaires pour qu’ils consolident des relations interpersonnelles basées sur les valeurs d’Ubuntu. Le concept « Ubuntu » doit être compris dans un sens large où il signifie en même temps l’humanisme, la bonté, la compassion, la clémence, la sagesse agissante, la mansuétude, la générosité à pardonner, la pitié humaine, l’amabilité, la communicabilité humaine…[12]
Avec les valeurs de l’Ubuntu, l’être humain va au-delà des intérêts personnels pour préserver les intérêts de la communauté. L’individu doit comprendre qu’il est ce qu’il est grâce à la communauté. Kevin Chaplin souligne que chez les Xhosa d’Afrique du Sud l’esprit cardinal d’Ubuntu se résume en ces termes : « Umntungumntungabanyeabantu »,[13]ce qui signifie : « l’être humain est être humain à travers les autres êtres humains. » Dans ce sens, l’être humain n’est plus défini par le « je » mais par le « nous ». Quand John Mbiti parle des relations qui doivent caractériser les êtres humains dans la communauté, il n’hésite pas à dire : « Je suis parce que nous sommes, et puisque nous sommes je suis. »[14] La formation aux valeurs d’Ubuntu invite donc l’être humain à être disponible et s’ouvrir aux autres en reconnaissant la valeur de la communauté dans la vie d’un individu.
Cette reconnaissance est réciproque ; la communauté a aussi le devoir de reconnaître l’importance de l’individu dans la vie communautaire, d’où la réalité d’Ubuntu dans une communauté permet le respect de la dignité humaine, le respect mutuel dans la différence. Toutefois, un membre de la communauté, tout en exigeant le respect de la part des autres membres, ildoit lui-mêmeveiller au respect de soi-même notamment par un habillement décent, par le respect de sa vie et celle des autres.
Il doit éviter de sombrer dans l’alcoolisme, les drogues ou les dépravations sexuelles. Il s’ouvre à la discipline de vivre la maîtrise de soi et la vertu de tempérance. Ainsi l’individu se distingue-t-il de l’espèce animale et est respecté au-delà des biens matériels et de l’argent.Les membres d’une communauté qui ont bien intégré les valeurs d’Ubuntu dans leur vie quotidienne vivent en harmonie et peuvent rêver ensemble des projets de développement. L’absence des valeurs d’Ubuntupar contre se caractérise par des conflits de toutes sortes, l’égoïsme, le mensonge, l’injustice, les exclusions, la torture, le mépris, les violences, les dépravations des mœurs, l’absence d’une vie décente...
Photo : les jeunes suivent la formation sur les valeurs d’Ubuntu
2o Formation sur la gestion des traumatismes
Aucun développement n’est possible dans une société qui souffre de traumatisme. Avec les différentes crises sociopolitiques que le Burundi a connues, des signes qui indiquent la présence de souffrances d’origine traumatique s’observent toujours chez certains individus. C’est notamment des cas de déviations du jugement et du bon sens, des cas d’addictions et des souvenirs récurrents et intrusifs, des aberrations psychosociales, des gens qui vivent des troubles internes (dépressions, sentiments de perte de contact avec soi, angoisses…) et d’autres qui vivent des évitements externes (peur des autres, phobie, honte…).
Beaucoup de gens éprouvent toujours des émotions révoltantes face à la souffrance et à l’horreur. D’autres vivent difficilement la confrontation des événements pénibles. Des gens vivant des traumatismes et des dépendances psychiques se retrouvent sur toutes les collines du Burundi. Parfois de tels gens sont mal compris dans la société ou eux-mêmes comprennent mal les autres, et ceci peut être source de conflits.
Voilà pourquoi le Centre Ubuntu, dans ses initiatives de consolider les acquis de la paix et réconcilier les jeunes en conflits, s’active à former des gens qui pourront servir de leviers thérapeutiques envers des cas déclarés ou latents. Ainsi des agents formés seront-ils capables de détecter les signes des traumatismes physiques et psychologiques et essayer de trouver des remèdes en se basant sur les valeurs d’Ubuntu. En cas de besoin, ils pourront envoyer chez les spécialistes les patients qui nécessitent un traitement particulier. Néanmoins, les bénéficiaires formés doivent être conscients que même s’il y a des organisations spécialisées dans la gestion des traumatismes (THARS : Trauma Healing and Reconciliation Services ; HealthNet TPO : Transcultural Psychosocial Organisation ), la disponibilité de l’entourage est toujours d’une importance capitale. En effet, le rejet, la stigmatisation, le mépris ou l’indifférence de l’entourage peuvent aggraver la situation d’une personne qui a une souffrance d’origine traumatique.
3oFormation sur la résolution pacifique des conflits
Les jeunes formés sont des victimes des conflits sociopolitiques qui ont endeuillé le Burundi.
Ils sont conscients que ces conflits ont beaucoup hypothéqué leur avenir et risquent de se transmettre de génération en génération s’ils ne sont pas prévenus à temps. Ils sont aussi conscients qu’aucune initiative de développement ne peut tenir debout dans une logique conflictuelle.
Avec la formation à la résolution pacifique des conflits, le Centre Ubuntu entend aider ces jeunes à comprendre l’origine et la signification des conflits pour qu’ils soient capables d’y apporter une solution, et surtout de se construire des stratégies de prévention. Par cette formation, les bénéficiaires doivent être capables de développer des habiletés d’analyse et de diagnostic de situations conflictuelles. Ils doivent prendre connaissance du processus de médiation et d’arbitrage et aider les parties en conflits à privilégier le dialogue. Pour cela, ils doivent connaître la genèse des conflits, connaître les souhaits et la position des parties en conflits, dégager les points de divergence et de convergence des deux parties, privilégier les points qui pourraient aider les deux parties à travailler en commun et enfin travailler sur l’esprit de confiance et la volonté de chacun à transcender les différends.
Le grand souci du Centre Ubuntu est de prévenir tout comportement qui pourrait éventuellement constituer un embrayage aux conflits. Les jeunes formés doivent eux-mêmes adopter des attitudes de prévention des différends et mettre en pratique des habiletés et des techniques nécessaires à la gestion des conflits au quotidien.
4oFormation sur le leadership participatif basé sur les valeurs d’Ubuntu
La crise du leadership a été l’une des causes majeures de la déflagration des conflits au Burundi. Les leaders n’ont pas été toujours fidèles à leur mission : le manque de vision dans la gouvernance, le manque de transparence dans la gestion de la chose publique, l’exclusion et le népotisme ont créé des foyers de tensions et mis en berne les chances de beaucoup de Burundais à décoller économiquement.
Le Centre Ubuntu est préoccupé de voir enfin des leaders qui ont le souci de l’intérêt supérieur de la population, des leaders qui s’appuient sur les valeurs d’Ubuntu pour accomplir leur mission.
C’est dans cette optique que les jeunes formés sont aussi sensibilisés aux valeurs du leadership pour qu’ils puissent être de bons leaders communautaires et soient capables à leur tour de former d’autres éventuels leaders. Après leur formation les bénéficiaires doivent connaître des points essentiels suivants sur le leadership :
- Les devoirs d’un leader : préparer des projets en collaboration avec les membres de la communauté, faire un suivi régulier des projets pour vérifier leur mise en exécution ;
- Dans un groupe où les gens ont un projet commun, le représentant doit identifier les activités et préparer le calendrier d’exécution. Il doit préciser le rôle qui revient à chacun des membres et faciliter la circulation de l’information ;
- Le leader doit connaître comment trouver des solutions aux problèmes éventuels et comment prendre des décisions ;
- Le leader n’a pas peur de dire la vérité, il doit collaborer avec les autres et est ouvert aux critiques et aux conseils ;
- Il est impartial, humble, clairvoyant et a un esprit de sacrifice. Il doit être intelligent, rassembleur, compatissant, patriote, proche de ses compatriotes, capable de pardonner et de demander le pardon. Il respecte Dieu et est un modèle dans les bonnes mœurs…
Les jeunes formés apprennent qu’avec le leadership marqué par les valeurs d’Ubuntu, les leaders et les sujets ont chacun des devoirs et des droits. Si les leaders ont le devoir de lancer la dynamique d’élaboration des projets et faire le suivi de leur mise en exécution, les autres membres ont aussi le devoir de participer à l’élaboration de ces projets et de protéger les intérêts communs. Avec cette formation, les jeunes qui décident de travailler en association choisissent mieux leur leader (celui ou celle qui incarne les valeurs d’Ubuntu), et élaborent mieux leurs projets de développement. Le leader choisi est conscient de son rôle tandis que les membres sont désormais informés de leurs droits et de leurs devoirs. Les jeunes formés sont aussi informés qu’on ne s’improvise pas comme leader ; les élections, la nomination par les membres, les qualités intellectuelles, l’ancienneté, le dévouement au service ou la droiture sont entre autres les voies légitimes pour devenir un leader.
5oFormation sur le développement économique et l’autonomisation
Après avoir été formés sur les valeurs d’Ubuntu, sur la gestion des traumatismes, sur la résolution pacifique des conflits et sur le leadership basé sur les valeurs d’Ubuntu, les bénéficiaires apprennent enfin comment s’investir dans le développement économique.
Les jeunes formés viennent des milieux où la paupérisation dicte certains comportements qui avilissent la dignité humaine. La plupart de ces jeunes sont matériellement démunis et sont vulnérables aux sollicitations qui tranchent avec les valeurs d’Ubuntu. Par la formation au développement économique et à l’autonomisation, le Centre Ubuntu a le souci d’inviter les jeunes à prendre en main leur vie et canaliser leurs énergies dans les travaux de développement.
Les jeunes formés doivent d’abord être conscients de l’origine de leur pauvreté. D’une part il y a la pauvreté collective historique due à la colonisation, à la mauvaise gouvernance et aux guerres. D’autre part, il y a des facteurs[15] comme l’ignorance, la maladie, la paresse, la corruption et le fait d’être toujours esclave de l’aide étrangère qui ont aggravé la situation de pauvreté.
Les jeunes doivent ensuite accepter de vivre leur destin et refuser d’être victimes de l’histoire. C’est dans cette optique que le Centre Ubuntu les encourage à se mettre ensemble pour qu’ils découvrent les potentialités qui puissent les aider à se développer. C’est ainsi qu’ils apprennent à identifier les secteurs où chacun doit s’impliquer avec ses capacités physiques, intellectuelles, morales… Ceci est possible quand ils décident enfin de se mettre en association de développement avec des projets réalistes et réalisables dans leurs milieux.
Le Centre Ubuntu apprend aux jeunes la gestion organisationnelle et financière d’un projet. Le formateur dégage un organigramme type où il montre de façon hiérarchique les différents organes dirigeants composant une association pour que sa gestion soit efficace. Les jeunes doivent savoir que la gestion d’un projet commun est délicate, d’où ils sont appelés à coopérer et à afficher une volonté commune afin qu’il y ait transparence dans l’exécution du projet.
Les formateurs du Centre Ubuntu et les membres des comités locaux d’Ubuntu sont toujours disponibles pour accompagner les jeunes dans leurs projets.
Le but ultime des projets de développement est de consolider la bonne cohabitation entre les jeunes en conflits avec la capacité de travailler ensemble sans provocation ni suspicions. L’idéal est de voir les jeunes enfin libérés non seulement de l’indigence matérielle, mais aussi de l’ignorance qui donne proie à la manipulation jusqu’à perdre toute dignité. Pour le Centre Ubuntu, ces jeunes doivent devenir des citoyens qui s’organisent socialement, des citoyens capables d’effectuer des changements dans leur vie et celle de leurs communautés.
I.3. Penser au développement pour la paix
Dans son message-radio du 24 août 1939, le Pape Pie XII déclarait : « avec la paix rien n’est perdu ; mais tout peut l’être par la guerre. »[16] Pour le Souverain Pontife, les intuitions de la paix devraient être une préoccupation de tout le monde pour gagner l’harmonie et la cohésion sociale.
Si dans plusieurs sociétés la paix est souvent perturbée à cause de la perte des valeurs d’Ubuntu, il se révèle aussi vrai que la spirale de la violence est souvent entretenue par le sous-développement économique et la mauvaise répartition du bien commun. YoshiakiLisaka écrivait en 1984 que si l’on parle du mouvement de la paix, il ne faudrait pas seulement entendre le mouvement anti-nucléaire, il faut aussi entendre le mouvement pour le développement et pour les droits humains. Le développement qui libère l’être humain de la faim, de la pauvreté et de l’injustice.[17]
Dans son étude sur la spirale des conflits et la politique de développement, la Banque Mondiale atteste que « la guerre dure particulièrement longtemps dans les pays où la répartition des revenus est extrêmement inégale et le revenu faible. »[18] C’est souvent dans les pays les plus pauvres où il y a un risque élevé de la guerre civile.
Un pays peut disposer des institutions politiques satisfaisantes et l’homogénéité au niveau ethnique et religieux, mais s’il y a absence de développement économique, ce pays n’est pas à l’abri de la violence à grande échelle.[19] Les enquêtes de la Banque Mondiale faites en 2005 ont montré que « la cause originelle du conflit réside dans l’échec au développement économique. »[20] Pour cette institution internationale « les pays où le revenu par habitant est faible, stagne et est inégalement réparti, et dont les exportations restent étroitement dépendantes de leurs seules matières premières, connaissent un risque élevé de conflit intérieur durable. »[21] Des mouvements sécessionnistes se créent souvent dans des régions qui regorgent de ressources naturelles et réclament une indépendance politique. En réalité c’est pour mieux contrôler les revenus financiers que procurent ces ressources naturelles. Et souvent les leaders qui réclament la sécession ne se soucient pas de la pauvreté des gens de la région, mais plutôt des intérêts d’un groupe restreint qui devient le maître du territoire.
Les conflits à répétition qui ont endeuillé le Burundi ont été souvent assimilés à la polarisation ethnique. Certains esprits, embrasés par l’idéologie ethnique, ont entretenu des réflexes d’exclusionisme. Néanmoins, il s’est aussi révélé que la boulimie de tout contrôler économiquement a renforcé et entretenu des instincts de violence. La bonne répartition du bien commun a été la toile de fond des revendications des mouvements de « libération ». Ces mouvements aspiraient économiquement à des lendemains meilleurs.
Trouver la solution à la question du développement économique peut éventuellement briser la spirale de la violence. Le Pape Paul VI écrivait en 1965 dans sa lettre encyclique PopulorumProgressio que « le développement est le nouveau nom de la paix ». Le Pape est convaincu que « les disparités économiques, sociales et culturelles trop grandes entre peuples provoquent tensions et discordes et mettent la paix en péril. »[22]
Le Centre Ubuntu pense aussi dans ce sens. Toutefois, il est aussi persuadé que se limiter au développement économique ne suffit pas pour gagner la paix. L’accumulation des biens matériels ne suffit pas pour réaliser le bonheur humain.
Si le développement est dépourvu des valeurs d’Ubuntu, il reste partiel ; les biens accumulés peuvent facilement se retourner contre l’être humain et détruire ce qu’il a chèrement construit. Le Pape Jean Paul II donne l’exemple des deux guerres mondiales qui ont profondément interrogé le sens du développement économique réalisé par les Occidentaux au début du vingtième siècle.[23]
Voilà pourquoi le Centre Ubuntu est convaincu que pour mieux ouvrir les jeunes à une dynamique de réconciliation, l’urgence est d’abord de bâtir leurs cœurs pour qu’ils embrassent un humanisme nouveau fondé sur les valeurs de respect mutuel, de compassion, de vérité et de compréhension mutuelle. Il faut bâtir leur être pour mettre en valeur leur avoir. Dans cette logique, l’être humain n’est pas seulement défini par ce qu’il a, mais surtout par ce qu’il est. En effet, si l’avoir ne contribue pas à être plus relationnel, s’il ne respecte pas « la qualité ni l’ordre des valeurs des biens que l’on a »[24], il devient une idole et donc un obstacle à la croissance de l’être et au développement.
Le Centre Ubuntu a la ferme détermination d’engager les jeunes dans un développement intégral qui rend leurs conditions plus humaines ; des jeunes stables dans leur étant, des jeunes qui crient enfin victoire sur les fléaux sociaux, des jeunes dont la culture sur la paix et la réconciliation est acquise, des jeunes conscients de la dignité d’autrui, des jeunes qui coopèrent au bien commun et à la consolidation de la sérénité communautaire.
Photo : les jeunes discutent en groupe sur la question du développement communautaire
[1]Cf. www.centre.ubuntu.bi(consulté le 25/3/2014).
[2]NTAKARUTIMANA Sylvère, Etude d’Evaluation et Identification des Projets de Développement Mis ou à Mettre en Œuvre par le Centre Ubuntu au Burundi (n.p.), Décembre 2011, p. 27.
[3]www.centre.ubuntu.bi(consulté le 25/3/2014).
[4]Cf. Ibid.
[5]Ibid.
[6]SLIEP Yvonne, La Guérison des Communautés par un Renforcement du Capital Social : Une Approche par le Théâtre Narratif, 2009, p. 8.
[7]Cf. Ibid.
[8]Cf. Ibid.
[9]Ibid.
[10]Ibid.
[11]Ibid.
[12]Cf. KAYOYA Michel, Sur les Traces de mon Père, 1971, p. 8 (le sens a été donné par Rodegem dans son « Dictionnaire Rundi »).
[13]CHAPLIN Kevin, The Ubuntu Spirit in African Communities, in http://www.coe.int/t/dg4/cultureheritage/culture/Cities/Publication/BookCoE20-Chaplin.pdf(consulté le 27/4/2014).
[14]MBITI John, African Religion and Philosphy, 1969, p. 224.
[15]Cf. CENTRE UBUNTU, Manuel de formation, Bujumbura, 2013.
[16]PIE XII, Radio-Message (24 août 1939) ; AAS 31 (1939).
[17]YOSHIAKI Lisaka, A Holistic Approach to Peace and Disarmament, 1984, in THE THEOLOGICAL ADVISORY COMMISSION OF THE SOUTHERN AFRICAN CATHOLIC BISHOPS’ CONFERENCE, The Things That Make For Peace, 1985, p. 195.
[18]BANQUE MONDIALE, Briser la Spirale des Conflits. Guerre Civile et Politique de Développement (trad. Monique Berry), 2005, p. 104.
[19]Cf. Ibid. p. 74.
[20]Ibid.
[21]Ibid.
[22]PAUL VI, Lettre Encyclique « PopulorumProgressio », n. 76, AAS 59 (1967).
[23]Cf. JEAN-PAUL II, Lettre Encyclique « SollicitudoReiSocialis », n. 27, AAS 80 (1988).
[24]Cf. Ibid.
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