Le centre Ubuntu pour la réconciliation entre les jeunes burundais

Avant de penser à la réconciliation des gens en conflit, il faut d’abord connaître leur vie quotidienne. Dans ce chapitre, nous exposons la question de la jeunesse burundaise, puis nous présentons les projets de développement initiés pour et avec les jeunes par le Centre Ubuntu, en collaboration avec l’Unicef, dans les communes de Rumonge, Ruhororo et Itaba. 

II.1. Question de la jeunesse au Burundi

Aujourd’hui le Burundi compte plus de huit millions d’habitants dont 60% sont des jeunes.[1] Cette jeunesse a été victime des crises sociopolitiques qu’a traversées le Burundi. Elle a été particulièrement affectée par la crise éclatée en 1993 avec l’assassinat de Melchior Ndadaye, premier président burundais démocratiquement élu. La guerre civile qui a suivi cet assassinat a beaucoup impliqué les jeunes qui ont été enrôlés dans des mouvements de rebelles ou de milices de certains partis politiques.

Beaucoup de familles se sont retrouvées en exil ou dans des sites de déplacés. D’après l’étude de Jimmy Bankamwabo dans le contexte du Cadre Stratégique de Lutte Contre la Pauvreté(CSLP II) sur la thématique « jeunesse et emploi », « environ 1,2 million de réfugiés et personnes déplacées à l’intérieur du pays ont dû quitter totalement ou partiellement leur milieu de vie et de production»[2], d’où la chute brutale du produit intérieur brut et le taux croissant de la pauvreté.

Le rapport du gouvernement burundais en partenariat avec les Nations Unies sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement (O.M.D) a montré qu’entre 1990 et 2001 le taux de pauvreté a augmenté de 33% à 67%.[3] Dans les villes ce taux est passé de 40.9% en 1993 à 66.0% en 2000, et dans les milieux ruraux il est passé de 39.6% à 68.7%.[4]L’espérance de vie quant à elle a baissé de 51 ans à 48 ans.[5]L’Enquête Démographique et de Santé effectuée par le Gouvernement du Burundi en 2010 montre que depuis 2001 la croissance économique a repris timidement. En 2010, la croissance était de 4%.[6] Toutefois, le pays reste fortement dépendant du financement extérieur qui, en 2010, représentait 24% du PIB.[7] Beaucoup de Burundais vivent toujours en dessous du seuil de la pauvreté (67% en 2006), tandis que « les problèmes d’accès au financement et à l’approvisionnement en énergie électrique freinent le développement des entreprises »[8] et que « les difficultés inhérentes au transport handicapent les échanges commerciaux. »[9]Le président Buyoya écrivait dans Mission Possible que la violence n’a pas épargné les infrastructures économiques ; il y a eu la destruction des ponts, des routes et des champs de café. L’agriculture a été terriblement affectée. Les terres que les cultivateurs avaient abandonnées à cause de la violence n’étaient plus cultivables.[10] Même celles qui sont aujourd’hui cultivables, elles sont devenues de plus en plus exigües à cause de la démographie galopante et la mauvaise gestion des terres arables.

D’après les études de l’Institut de Statistique et d’Etudes Economiques du Burundi(ISTEEBU) (2010), aujourd’hui les terres arables occupent 72.66% avec 90% de population agricole d’où l’exiguïté des parcelles agricoles.[11] Des jeunes non scolarisés qui pourraient voir l’horizon de leur avenir s’ouvrir par le secteur agricole sont découragés parce qu’ils ne trouvent pas assez d’espaces pour réaliser leurs rêves. Certains jeunes des milieux ruraux préfèrent faire un exode rural en espérant trouver un emploi dans les entreprises de la capitale. Le défi actuel est que certaines entreprises qui utilisaient beaucoup d’employeurs ont fait faillite (cf. Office National Pharmaceutique, Verrerie du Burundi…). Même celles qui sont encore fonctionnelles n’utilisent que 2% de la population active et sont concentrées à Bujumbura.[12] Certains jeunes préfèrent alors être engagés comme des domestiques ou faire du « taxi-vélo » avec des revenus mensuels modiques.

Pour essayer de remédier au problème d’emploi chez les jeunes, le Gouvernement du Burundi a mis en place en mai 2010 une Agence Burundaise pour l’Emploi des Jeunes (ABEJ). Cette Agence a pour missions :

  • « Participer à la mise à jour des données relatives au marché du travail ;
  • Participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique de l’emploi visant la promotion du premier emploi des jeunes ;
  • Intervenir sur le marché du travail en vue de favoriser la promotion de l’emploi des jeunes en les assistant à la recherche de l’emploi par une formation et un counselling professionnel ;
  • Aider les jeunes diplômés à acquérir des expériences professionnelles pratiques en plaidant pour eux auprès des entreprises privées, publiques et parapubliques ainsi qu’auprès des organisations internationales surtout en ce qui concerne les stages de premier emploi ;
  • Travailler en collaboration avec les autres Ministères pour octroyer des formations complémentaires aux jeunes lauréats des Universités et écoles techniques en informatique, en entreprenariat, en anglais, en administration, etc. ;
  • Organiser des foras et ateliers pour sensibiliser les parties prenantes sur la problématique du chômage des jeunes et autres problèmes corollaires. »[13]

Malgré cette bonne initiative du Gouvernement, la majorité de jeunes burundais souffre de plus en plus du manque d’emploi. Des centaines de jeunes grouillent dans les milieux urbains en quête d’emplois. Des diplômés d’université, des jeunes sans instruction, tous se côtoient dans les ruelles du pays en quête d’emploi. D’après les enquêtes de Bankamwabo, les jeunes, qui représentent 60% de la population burundaise, sont les plus frappés par le chômage ; trois chômeurs sur cinq sont des jeunes.[14] Certaines raisons peuvent expliquer le chômage et le sous emploi chez les jeunes :[15]

  • Il y a un décalage entre la démographie et le développement économique ;
  • Il y a inadéquation entre le profil des sortants des formations et les besoins réels des entreprises ;
  • Les jeunes souffrent d’une faible culture entrepreneuriale ;
  • Les jeunes n’accèdent pas facilement au crédit.

II.2. Projets de développement initiés par le Centre Ubuntu pour les jeunes

Pour aider les jeunes à faire face à ce problème du manque d’emploi et essayer de réconcilier les jeunes en conflits, le Centre Ubuntu, appuyé par l’Unicef, a initié des projets de développement dans trois communes où les tensions entre les jeunes étaient les plus accentuées : Itaba (Gitega), Ruhororo (Ngozi) et Rumonge (Bururi).

II.2.1. Commune Rumonge

Rumonge est l’une des neuf communes de la province Bururi. Elle est délimitée au Nord par les communes Bugarama et Muhuta (Province Bujumbura Rural) ; au Sud par la commune Nyanza-lac (Province Makamba) ; à l’Est par les communes Burambi, Buyengero, Bururi, Vyanda et à l’Ouest par le Lac Tanganyika. La commune Rumongea une superficie de 324,88 km2 sur 2.465,12 km2 de la Province Bururi et elle est subdivisée en 6 zones: Rumonge, Buruhukiro, Gatete, Kigwena, Kizuka, et Minago.[16]En2010 la population de Rumongeétait estimée à 106.040 habitants avec une densité moyenne de 326 habitants/km2.[17] La majorité de cette population est jeune (66,5 % a moins de 25 ans).[18]

Située au bord du lac Tanganyika et dans les régions de l’Imbo et de Mumirwa, les gens de cette commune vivent essentiellement de la pêche, de l’agriculture et de l’élevage du petit bétail.

L’agricultureoccupe plus de 80% de la population qui s’adonne principalement à la production des cultures industrielles et vivrières (palmerais à huile, riz, manioc, maïs, haricot, arachide, soja…)  et dans une moindre mesure aux cultures maraîchères et fruitières.[19]Il y a beaucoup de petites usines artisanales de transformation de l’huile de palme mais l’exiguïté des terres est manifeste à cause de la forte densité de la population.

 

La pêcheest essentiellement pratiquée dans le lac Tanganyika. Environ 45 % de la population de la Commune Rumonge s’intéresse aussi à cette activité.Il faut cependant signaler que beaucoup de jeunes qui pratiquent la pêche à Rumonge ne sont pas nécessairement de Rumonge. La majorité vient de Bujumbura ou de Makamba.

 Les types de pêches qui y sont pratiquées sont la pêche coutumière et la pêche artisanale.

L’élevageest essentiellement du petit bétail et de volaille. Les chèvres, les moutons et d’autres petits ruminants sont élevés en mode extensif traditionnel tandis l’élevage porcin  n’est pas beaucoup répandu. L’élevage avicole reste lui aussi traditionnel où l’on trouve quelques poules et canards dans les ménages.

Les moyens de transport sont praticables même s’il y a certaines parties qui nécessitent des réparations. Cinq réseaux de communication (Leo-Burundi, AFRICELL, ECONET, ONAMOB, SMART) sont fonctionnels. Pour les infrastructures scolaires la commune de Rumonge compte 109 écoles primaires avec51105 écoliers et 43 écoles secondaires avec 12946 élèves et un Institut Supérieur de Technologie. Les abandons scolaires sont assez fréquents dans cette commune ;

1001 écoliers et 483 élèves ont déjà abandonné l’école cette année scolaire (2013-2014). La direction communale de l’enseignement rapporte que les motifs de cet abandon sont notamment des déménagements, la pauvreté,  les maladies, la délinquance et les grossesses « non désirées ».

Il faut souligner que dans les villages de Buzimba A et B il y a seulement une école primaire et aucune infrastructuresanitaire. Pour se faire soigner ou avoir accès à l’école secondaire, les villageois de Buzimba doivent aller principalement dans la ville de Rumonge. 

 

  • Quid de la jeunesse

 

Photo : les jeunes de Buzimba (Rumonge)

La commune Rumonge a été fortement secouée par les événements tristes qui ont endeuillé le Burundi, d’où il y a beaucoup de gens qui ont fui leurs ménages pour se réfugier en Tanzanie ou en République Démocratique du Congo. Avec le retour progressif de la paix, le Gouvernement du Burundi a pris l’initiative de rapatrier tous les réfugiés qui se trouvaient dans les camps en Tanzanie. Rumonge a été l’une des communes du pays qui a accueilli un grand nombre de rapatriés. Certains sont natifs de cette commune, les autres viennent des autres provinces. Il y a ceux qui ont pu regagner leurs anciennes propriétés, tandis que d’autres ont été obligés de s’installer dans des villages dits de paix. Le conseiller chargé des questions sociales dans la commune Rumonge atteste néanmoins qu’il y a certains rapatriés des villages de paix  qui ne veulent  pas regagner leurs villages natals pour profiter de la proximité du Lac Tanganyika.

A Rumonge, le Centre Ubuntu a ciblé les villages de paix de Buzimba A et B  pour travailler à la réconciliation des jeunes. Ces villages sont situés dans la zone Gatete et datent de 2009 et comptent environ 440 ménages.

Les familles de ces villages vivent dans des conditions déplorables ; chaque famille a seulement droit à 4 ou 5 ares, un espace qui suffit pour la construction d’une petite maison et la culture de légumes pour une modique autosubsistance.

Les jeunes de ces familles se lamentent disant qu’ils ont été oubliés par le gouvernement qui devait les associer aux activités de développement communal pour leur intégration effective. Ces jeunes font face à l’exiguïté des terres cultivables et des maisons d’habitation. Ils déplorent aussi le manque de place pour poursuivre leurs études. En effet, si une partie de ces jeunes désœuvrés n’a pas été à l’école, une autre, la plus importante, est composée de jeunes plus ou moins adultes qui fréquentaient l’école en exil mais, arrivés au Burundi, n’ont pas pu continuer leurs études à cause de la discordance des systèmes d’enseignement (anglophone et francophone, programme tanzanien et programme burundais) et de la pauvreté. Ces jeunes affichent un comportement de résignation et manifestent une incertitude pour l’avenir. Les relations entre les jeunes rapatriés et les jeunes résidents (qui n’ont pas été en exil) sont souvent tendues. Les premiers sont des gens sans terre et mènent un combat quotidien pour assurer leur survie.

Ils manifestent des sentiments de frustrations liés à la stigmatisation et au rejet par les jeunes résidents. Ceux-ci sont supposés vivre chez eux. Leurs parents ont assez de terres où ils peuvent exercer les activités agricoles et garantir la survie de leurs familles et assurer l’éducation de leurs enfants. Ces disparités de vie ont créé des jalousies et de la haine entre les deux groupes. Les jeunes résidents accusent les rapatriés d’être sous la protection des Nations Unies (UN), tandis que ces derniers accusent les résidents non seulement de vivre dans l’aisance, mais aussi d’exploiter leurs terres.

Par ces relations tendues, les valeurs d’Ubuntu sont mises en question. On trouve à Buzimba non seulement de la haine et de la jalousie, mais aussi de l’oisiveté, des jeunes qui se regroupent dans des lieux (ligalas) où ils apprennent à voler, à consommer des stupéfiants et à se livrer à des dépravations sexuelles. A cause de la pauvreté  et de la perte des valeurs d’Ubuntu, ces jeunes sont des proies faciles à la manipulation et il y a le danger qu’ils soient récupérés par les politiciens pour les utiliser dans la radicalisation des tensions sociopolitiques.

 

  • Intervention du Centre Ubuntu

C’est dans cet environnement que le Centre Ubuntu, appuyé par l’Unicef, s’est engagé à promouvoir des relations paisibles entre les jeunes résidents et les jeunes rapatriés des villages Buzimba A et B de la zone Gatete. L’objectif global du Centre Ubuntu et de l’Unicef est d’amener les jeunes de ces villages à collaborer et développer des initiatives de développement axées sur les valeurs d’Ubuntu. Pour atteindre cet objectif le Centre a initié une série d’activités dont les animations psychosociales et des séances de formation.

Photo : un agent du Centre Ubuntu faisant une animation psychosociale (Rumonge).

Les animations psychosociales basées sur le théâtre narratif ont permis d’identifier les comportements qui blessent les valeurs d’Ubuntu chez les jeunes des villages Buzimba A et B. Les principaux comportements cités sont la discrimination, l’avarice, le manque d’entraide et de solidarité, les grossesses « non désirées », le vol dans les ménages, la prise des drogues, les ligalas. Le comportement qui cause beaucoup plus de problèmes c’est la discrimination et le mépris fait aux jeunes rapatriés par les jeunes résidents. Le théâtre narratif a pu aider les jeunes rapatriés et les jeunes résidents à prendre conscience des méfaits de la discrimination et du mépris des uns envers les autres. Parmi ces méfaits il y a la provocation, le repli sur soi et la haine mutuelle qui peut conduire à la violence.

Après avoir pris conscience de ces méfaits, un groupe de 15 jeunes (6 résidents et 9 rapatriés) a suivi une formation sur les valeurs d’Ubuntu, la gestion des traumatismes, la résolution pacifique des conflits, le leadership et la gouvernance participative et l’autonomisation. Cette formation a permis aux jeunes formés de s’engager pour la formation des autres jeunes de la communauté (45 jeunes) et d’initier des petits projets d’auto-développement.

Une association « URWARUKA TWUNGUBUMWE » (Jeunesse soyons unis) a été créée et a pris l’initiative de se consacrer à l’élevage des chèvres. Avec l’appui financier de l’Unicef (1.700.000 BIF) et la contribution des bénéficiaires (1.150.000 BIF), les membres de l’Association ont pu acheter 30 chèvres et construire des étables. Les 30 chèvres ont été distribuées aux 30 jeunes qui vont ensuite former une chaîne de solidarité consistant à distribuer aux autres jeunes les petits des chèvres une fois mis bas.

Photo : les jeunes de Buzimba recevant des chèvres

Le souci du Centre Ubuntu par ce projet d’élevage de chèvres est que les valeurs d’Ubuntu soient une réalité chez les jeunes rapatriés et les jeunes résidents.

Par conséquent, cet élevage ne devrait pas être seulement une source de revenus financiers, mais surtout un maillon de solidarité et de cohésion entre les jeunes des différents groupes sociaux ; les jeunes qui pensent ensemble à la promotion de la paix par le développement intégral.

II.2.2. Commune Ruhororo (Ngozi)

Ruhororo est l’une des neuf communes de la province Ngozi. Elle est située au Sud de la province et a une superficie de 154,10 Km2, soit 10,45 % de la province (1.478,36 km2).[20]

Elle est délimitée au Nord par les communes Tangara et Gashikanwa, au Sud par la province Gitega, à l’Est par la province Karusi, et à l’Ouest par la commune Ngozi et la province Kayanza. La commune de Ruhororo est subdivisée en deux zones : Mubanga et Ruhororo avec 31 collines :

Carte : collines de Ruhororo

En 2010 la population était estimée à 85.406 habitants et la densité moyenne était de 554 habitants/km2.[21]

Photo : locaux de la commune Ruhororo

 

La commune Ruhororo est située dans la région naturelle de Kirimiro et est essentiellement agricole. Les activités agricoles regroupent particulièrement les cultures vivrières (le manioc, la patate douce, la banane, le haricot, la pomme de terre, le maïs et le riz), les cultures industrielles (le café), les cultures maraîchères (les  amarantes, les choux blancs, les tomates, les oignons rouges et blancs, les aubergines et les carottes) et les cultures fruitières(les avocatiers, les agrumes, les goyaviers, les pruniers, les ananas et le maracujas).[22]Les contraintes signalées dans ce domaine sont notamment l’exiguïté des terres, les aléas climatiques (au mois de décembre 2013 la production a baissé à cause de la grêle), l’insuffisance d’intrants agricoles et du personnel technique, le manque de formations ou de recyclage pour le peu du personnel technique disponible, et le manque de financements.[23]

 

L’élevage est dans l’ordre d’importance composé de caprins, de la volaille, d’ovins, de bovins et de porcins.

Cet élevage reste de type traditionnel avec des rendements essentiellement pour l’autoconsommation. En 2005 les caprins et la volaille occupaient 65% du cheptel communal.[24] Il faut aussi signaler la pratique de l’apiculture avec des techniques artisanales et des ruches traditionnelles. L’apiculture fait face aux défis du manque d’encadrement technique, de la mauvaise organisation des associations pour la gestion et la commercialisation du miel et du manque de financement.[25]D’une manière générale, les contraintes signalées dans le domaine de l’élevage dans la commune Ruhororo sont l’exiguïté des terres pour l’élevage, le manque d’intrants d’élevage, l’insuffisance d’encadreurs (même ceux qui sont disponibles manquent de moyens de déplacement),l’insuffisance de races améliorées, les financements pour le développement de ce secteur restent faibles, il y a aussi insuffisance de produits vétérinaires pour lutter contre certaines maladies.[26]

 

Dans ledomaine scolaire la commune Ruhororo compte 21 écoles primaires et 5 écoles secondaires. La direction communale d’éducation indique que 97.9% des enfants âgés entre 7 et 12 ans sont scolarisés. Toutefois, ce taux élevé de scolarisation baisse avec l’augmentation de l’âge à cause notamment de la pauvreté, de l’exode rural, des grossesses « non désirées », des échecs scolaires et de l’indiscipline.

Quant aux infrastructures sanitaires, la commune compte 6 Centres de Santé, trois dans chaque zone. Les routes sont plus ou moins bonnes et tous les centres d’activités sont accessibles. Trois réseaux de téléphonies mobiles (Leo-Burundi, AFRICELL et ONAMOB) sont fonctionnels. Il y a aussi une agence de la Poste Centrale pour le transport du courrier.

 

  • Quid de la jeunesse

La commune Ruhororo, comme les autres communes du pays, a été secouée par les affres de la guerre. Cette crise a créé des tensions et des divisions au sein des communautés jusqu’à ce qu’une partie de la population ait été obligée de quitter ses propriétés pour se retrouver dans des sites de déplacés. Les locataires de ces sites et les populations restées sur les collines se regardent en chiens de faïence; un climat de haine,               de suspicions, la perte de certaines valeurs comme la confiance et la solidarité sont une réalité dans les deux camps. Les déplacés sont mécontents et accusent ceux qui sont restés sur les collines d’être les auteurs de leur malheur. Ces derniers quant à eux croient que les déplacés sont mal intentionnés et sont ethniquement extrémistes.

Ce climat malsain a affecté même les jeunes qui, actuellement, sont impliqués dans des querelles sociopolitiques.Les autorités communales ont essayé de rassembler ces jeunes autour des initiatives culturelles et sportives. Toutefois, il s’observe une ambiance où les uns et les autres s’attendent soit à des représailles, soit à la reprise de la guerre. Les jeunes de cette localité se comportent chacun comme garant de la sécurité de son groupe ethnique ou politique. Ces jeunes sont souvent sans occupations lucratives.Il a été remarqué que « l’exode rural des jeunes vers Bujumbura et vers d’autres milieux urbains est très développéà cause de l’exiguïté des terres, du manque d’activités génératrices de revenus, de l’oisivetéet des conditions sociales très difficiles. »[27]

Si certains parmi eux travaillent comme des domestiques à Bujumbura ou font du taxi-vélo, la majorité est une population de jeunes désœuvrés qui se laissent facilement manipuler par des courants politiques radicaux qui handicapent leur capacité et la volonté de créativité pour le développement socioéconomique de leurs communautés. La majorité de ces jeunes abandonne l’école après la sixième année primaire soit à cause de la pauvreté soit à cause de l’échec aux examens. Même ceux qui parviennent à terminer leurs études sont confrontés au manque d’emploi.

 

  • Intervention du Centre Ubuntu

Appuyé par l’Unicef, le Centre Ubuntu s’est engagé à travailler avec les jeunes de la zone Ruhororo sur les collines Kinyami, Rwamiko, Buniha, Nyamugari, et Bucamihigo. Le Centre Ubuntu a ciblé ces collines parce qu’elles sont les plus exposées aux conflits entre les jeunes déplacés, les jeunes résidents et les jeunes Batwas.

L’objectif principal du Centre Ubuntu et de l’Unicef est de pouvoir rassembler ces jeunes autour des initiatives communes de développement basées sur les valeurs d’Ubuntu.

 Avec les animations psychosociales et une série de formations, le Centre Ubuntu a pu identifier les problèmes principaux dont souffrent les jeunes de Ruhororo et a pu initier des projets de développement. Les problèmes identifiés sont les suivants :

  • Les jeunes de la zone Ruhororo sont menacés par l’oisiveté et passent leur temps sur des places (ligalas) où ils discutent de tout et de rien ;
  • Il y a des suspicions mutuelles entre les jeunes déplacés et ceux qui sont restés sur les collines. Ceci se manifeste par des divisions basées sur les partis politiques ;
  • Les jeunes qui sont dans le groupe des Batwa sont souvent marginalisés ou se marginalisent eux-mêmes ;
  • Les jeunes s’adonnent à la consommation des drogues ; d’où la recrudescence des violences comme le viol, le banditisme… ;
  • Il y a un vagabondage sexuel causé essentiellement par la pauvreté ; les jeunes filles nouent des relations illégitimes avec certains commerçants et certains fonctionnaires de l’Etat.

Le problème principal néanmoins qui s’observe dans cette zone consiste en des divisions basées sur les partis politiques.

La cause principale de ce défi tourne autour des mauvais enseignements prodigués par certains politiciens. Ceux-ci s’appuient sur la vulnérabilité socio-économique et les antécédents politiques pour corrompre les jeunes. Comme conséquences de cette situation, nous pourrions évoquer la radicalisation des conflits, la peur, les tueries, le manque de développement ; les jeunes ne peuvent pas se mettre ensemble pour travailler.

Malgré les réticences de certains jeunes à comprendre le bien-fondé des animations psychosociales, les autres ont pris conscience, par le théâtre narratif, des conséquences néfastes causées par le divisionnisme. D’où ils ont proposé beaucoup d’enseignements et de sensibilisation pour les jeunes pour qu’au lieu de perdre leur temps à écouter ceux qui les divisent, ils se mettent plutôt ensemble pours’impliquer dans des projets de développement.

C’est ainsi que 14 jeunes ont pu suivre une formation centrée sur les valeurs d’Ubuntu, la gestion des traumatismes, la résolution pacifique des conflits, le leadership et la gouvernance participative et l’autonomisation. Cette formation a permis aux jeunes formés non seulement de s’engager pour le changement des antivaleurs observées dans leurs communautés mais aussi à créer une association pour consolider les bonnes relations entre les déplacés et les résidents. Le Centre Ubuntu, en collaboration avec l’Unicef, a appuyé l’Association nouvellement créée (DUSHIREHAMWE MU BUNTU) composée au départ de 14 jeunes (7 déplacés et 7 résidents) qui ont suivi la formation. L’élevage de chèvres et de porcs a été l’activité de développement proposée par l’association.

Photo : élevage de porcs (Ruhororo)

Une contribution financière de l’Unicef s’élevant à 1.700.000 BIF a permis à l’Association de démarrer le projet. A partir de ce projet, les bénéficiaires sont appelés à créer une chaîne de solidarité où le nombre de bénéficiaires doit s’agrandir selon la multiplication du bétail.[28] Ce projet doit aussi aider les jeunes des différents groupes à se rencontrer souvent et renforcer leur cohésion.

Les valeurs d’Ubuntu promues doivent être une réalité chez les jeunes qui désormais ont une vision commune pour leur avenir.

II.2.3. Commune Itaba (Gitega)

Itaba est l’une des 11 communes de la province Gitega. Au Nord, elle est délimitée par la commune Gitega, au Sud par la province Rutana, à l’Ouest par les communes Bukirasazi et Makebuko, à l’Est par les provinces de Rutana et Ruyigi. Sa superficie est de 170 km2, soit 8,6 % de la province Gitega (1.978,96 km2) et 0,6% du pays (27.834 km2).[29] La commune Itaba est composée de trois zones : Buhevyi, Gihamagara, Itaba. En 2010 sa population était estimée à 59.226 habitants avec une densité moyenne de 348 habitants/km2,[30] et selon le service d’état civil, cette population était en 2013 estimée à 63. 307 habitants avec une densité moyenne de 372 habitants/km2. D’après le même service, cette population est jeune avec 71% de jeunes moins de 30 ans.

Située dans deux régions naturelles (Kirimiro et Buyogoma), la commune Itaba vit essentiellement de l’agriculture et de l’élevage.

L’agricultureprend 90% de la population qui se consacre aux cultures vivrières (les plus importantes sont la banane, la patate douce, le manioc, la pomme de terre, le haricot et le maïs), à la culture industrielle du café, aux cultures maraichères (les choux, les tomates, les oignons, les aubergines, les poivrons, les épinards, les carottes, les courgettes, les céleris et les poireaux) et aux cultures fruitières qui comprennent principalement l’avocatier, l’oranger et le citronnier.

Les contraintes signalées dans le domaine de l’agriculture sont entre autres la forte démographie qui entraîne le manque des terres cultivables, la stérilité du sol, la non disponibilité des intrants et le manque de crédits agricoles.

L’élevageest essentiellement constitué de bovins, de caprins, d’ovins, de porcins et de la volaille. Cet élevage est de type traditionnel eu égard à son caractère extensif. Beaucoup de ménages survivent grâce à l’élevage notamment des caprins et de la volaille.Les contraintes que les éleveurs de la commune Itaba rencontrent sont surtout le manque de pâturage, un petit nombre d’infrastructures d’élevage, l’existence de maladies et l’indisponibilité des produits zoo-sanitaires.[31]

Les données communales (2014) sur l’éducation scolaire indiquent que la commune Itaba compte 2 écoles maternelles avec 137 enfants (75 filles et 62 garçons), 19 écoles primaires avec 11. 404 écoliers (5.979 filles et 5.425 garçons) et 7 écoles secondaires avec 1949 élèves (903 filles et 1.046 garçons). Les défis rencontrés dans ce secteur sont notamment l’insuffisance de salles de classe et leurs équipements, insuffisance des latrines et d’eau potable, manque d’enseignants qualifiés et l’insuffisance du matériel didactique. Il faut aussi noter l’abandon scolaire élevé ; en 2012 il était de 6%.

Dans le domaine sanitaire, la commune Itaba compte 3 Centres de Santé (Buhinda, Buhoro et Gisikara) fonctionnels, et un quatrième (Ruhanza) qui va l’être bientôt. Les défis dans ce secteur sont surtout l’insuffisance d’infrastructures sanitaires et du personnel soignant, manque d’accès aux médicaments et le commerce illicite des produits pharmaceutiques.

Les moyens de transport sont en mauvais état : la route Makebuko-Ruyigi est difficilement praticable. Pour la  communication, 3 réseaux (Leo-Burundi, ONAMOB et ECONET) couvrent la commune Itaba.

 

  • Quid de la jeunesse

La commune Itaba a été, elle aussi, victime des crises sociopolitiques qu’a traversées le Burundi. En 1993, elle a été le théâtre de massacres interethniques. Le même drame s’est encore produit en 2002 sur les collines Kanyonga et Kagoma. Suite à ces crises, certaines populations se sont retrouvées dans trois sites de déplacés (Buhoro, Gihamagara, Gisikara). La situation sécuritaire actuelle n’est pas alarmante comme avant. Toutefois, les jeunes affiliés aux partis politiques s’activent pour défendre les intérêts de leurs formations politiques, d’où il y a parfois des suspicions entre les groupes qui n’ont pas les mêmes visions politiques. Ces groupes sont notamment composés de jeunes ex-combattants qui ont servi dans des mouvements rebelles, des jeunes ex-combattants qui ont servi dans l’armée régulière et des jeunes qui n’ont jamais pris les armes. Un climat de méfiance basé sur l’ethnisme s’observe aussi entre ces jeunes. Le groupe des jeunes qui sont dans les sites (essentiellement Tutsi) sont parfois aux prises avec les jeunes vivant sur les collines (essentiellement Hutu). Ces tensions sont aujourd’hui alimentées non pas seulement par l’ethnisme, mais aussi d’une certaine manière par l’agitation des partis politiques.

Avec la pauvreté qui n’épargne pas les jeunes de chaque groupe, les politiciens peuvent facilement se trouver une brèche pour attiser les tensions difficilement contrôlables. 

  • Intervention du Centre Ubuntu

Le Centre Ubuntu, en collaboration avec  l’Unicef, a initié pour des jeunes ciblés des activités qui pourront contribuer pour la consolidation des acquis de la paix et prévenir d’éventuelles tensions sur leurs collines. Par les animations psychosociales et une série de formations, le Centre Ubuntu a pu identifier les problèmes psychosociaux qui ruinent les jeunes d’Itaba et a encouragé certaines initiatives de développement.

Photo : les jeunes d’Itaba en formation

Certains problèmes identifiés sont les suivants :

  • Des exclusions mutuelles basées sur l’ethnisme ;
  • Des méfiances entre les jeunes des différents partis politiques ;
  • Des vagabondages sexuels ;
  • La consommation des stupéfiants ;
  • La recrudescence du banditisme ;
  • L’oisiveté des jeunes qui passent leur temps aux « ligalas » ;
  • L’exode rural à la recherche d’une vie meilleure en ville ou en Tanzanie.

A côté de la suspicion entre les jeunes de différentes ethnies qui a été observée comme le principal problème qui mine les jeunes d’Itaba, le vagabondage sexuel a été aussi évoqué comme un défi sérieux qui gangrène les jeunes des différents groupes. La pauvreté, l’alcoolisme, et la perte de certaines valeurs culturelles burundaises sont citées comme les principales causes de cette situation. Par le théâtre narratif, les jeunes ont pris conscience des méfaits de ce comportement. Ils se sont par la suite engagés à se conseiller mutuellement et revenir aux valeurs d’Ubuntu pour mieux vivre leur jeunesse.

Après les animations psychosociales, un groupe de 15 jeunes a été formé sur les valeurs d’Ubuntu, la gestion des traumatismes, la résolution pacifique des conflits, le leadership et la gouvernance participative ainsi que sur l’autonomisation. Ces 15 jeunes doivent par la suite former à leur tour d’autres 45 jeunes choisis selon les critères préétablis par le présent projet.

Avec cette formation, le souci du Centre Ubuntu est de voir d’une part des jeunes de différentes ethnies cohabiter pacifiquement. D’autre part, cette bonne cohabitation doit les conduire à l’amélioration de leurs conditions de vie.

Après la formation, ces jeunes ont effectivement vu la nécessité de travailler ensemble et ont décidé de créer une association TUBEHONEZA (vivons dignement) pour la bonne consolidation des acquis de la paix.

Voilà pourquoi le Centre Ubuntu, appuyé par l’Unicef, s’est engagé à soutenir financièrement la nouvelle Association. Une somme de 1.700.000 BIF a été attribuée aux bénéficiaires pour des activités de développement socio-économique. Avec ce montant et une contribution de 180.000 BIF de la part des membres de l’association, les bénéficiaires ont pu créer une caisse pour de petits crédits communautaires. Une part de ce montant doit aider au renforcement des capacités locales sur la formation reçue et pour l’apprentissage des techniques de gestion et de rédaction des rapports financiers. Une autre part est octroyée aux bénéficiaires comme crédits. Avec ces crédits, certains jeunes pratiquent de petits commerces de bananes vertes, de manioc, de farine de manioc, de poissons (ndagala), d’œufs, de brochettes, de la bière locale et industrielle. D’autres achètent des semences de haricots pour l’agriculture.

Le but de l’octroi de ces crédits est, d’une part, de renforcer une entraide communautaire en faveur des jeunes de l’Association et éventuellement d’autres jeunes et des familles vulnérables.  D’autre part, ces crédits doivent aider les jeunes non seulement à l’autonomisation mais surtout à renforcer les liens de solidarité et vivre pleinement les valeurs d’Ubuntu.

Par ces initiatives de développement, les jeunes ex-combattants, les jeunes qui n’ont pas pris les armes, les jeunes de différents groupes ethniques et différentes tendances politiques, doivent désormais se côtoyer sans suspicion ni appréhension.

 


[1]Le dernier Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 2008 (RGPH-2008) a dénombré

8 053 574 habitants dont 51 % de sexe féminin et 49 % de sexe masculin (cf. REPUBLIQUE DU BURUNDI, Enquête Démographique et de Santé, Burundi 2010, Mai 2012, p. 1.).

[2]BANKAMWABO Jimmy, Cadre Stratégique de Lutte Contre la Pauvreté (CSLP II): Thématique « Jeunesse et Emploi », Bujumbura, Mai 2011.

[3]Cf. GOUVERNEMENT DU BURUNDI, Rapport d’Avancement, Objectifs du Millénaire pour le Développement, Bujumbura, Septembre 2004, p. 8.

[4]Cf. Ibid.

[5]Cf. Ibid.

[6]Cf. REPUBLIQUE DU BURUNDI, Enquête Démographique et de Santé, Burundi 2010, Mai 2012, p. 3.

[7]Cf. Ibid.

[8]Cf. Ibid.

[9]Cf. Ibid.

[10]Cf. BUYOYA Pierre, Building Peace in Burundi. Mission: Possible (trad. David Gakunzi), 1998, p. 104.

[11]Cf. BANKAMWABO Jimmy, Ibid.

[12]Cf. Ibid.

[14]Cf. BANKAMWABO Jimmy, Ibid.

[15]Cf. Ibid.

[16]Cf. REPUBLIQUE DU BURUNDI : MINISTERE DE LA PLANIFICATION DU DEVELOPPEMENT ET DE LA RECONSTRUCTION NATIONALE, Monographie de la Commune Rumonge, Bururi, Septembre. 2006, p. 1.

[17]Cf. Ibid., p. 6.

[18]Cf. Ibid.

[19]Cf. Ibid., p. 9.

[20]Cf. REPUBLIQUE DU BURUNDI : MINISTERE DE LA PLANIFICATION DU DEVELOPPEMENT ET DE LA RECONSTRUCTION NATIONALE, Monographie de la Commune Ruhororo, Ngozi, Septembre, 2006, p. 1.

[21]Cf. Ibid., p. 6.

[22]Cf. Ibid., pp. 8-14.

[23]Cf. Ibid., p. 16.

[24]Cf. Ibid., p. 21.

[25]Cf. Ibid., p. 23.

[26]Cf. Ibid.

[27]Ibid., p. 15.

[28]Pour l’élevage des chèvres la chaîne de solidarité doit se faire entre les jeunes des sites des déplacés et ceux restés sur les collines.

[29]Cf. REPUBLIQUE DU BURUNDI :MINISTERE DE LA PLANIFICATION DU DEVELOPPEMENT ET DE LA RECONSTRUCTION NATIONALE, Monographie de la Commune Itaba, Gitega, Septembre, 2006, p. 1.

[30]Cf. Ibid., p. 4.

[31]Cf. Ibid., p. 24.

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