Contribution des confessions religieuses dans le processus de Vérité/Réconciliation

En entrant dans la dynamique de la vérité qui ouvre à la réconciliation, on s’ouvre à un processus de long terme qui engage des actions aujourd’hui pour générer un cadre de vie dont l’édification  doit se poursuivre par nos enfants et nos petits enfants. Les effets de la violence laisse des blessures, non seulement sur les individus, mais aussi sur les familles, les villages, des groupes humains beaucoup plus grands encore en développant une culture diffuse de soupçon. Le processus qui y répond comme thérapie sociale demande d’être large dans son spectre étant donné que les causes profondes des conflits ne sont jamais simples. Il s’agit d’un processus qui doit rester dynamique en affrontant le défi de travailler à un changement profond d’attitude et de comportement afin de créer un e space social où il devient encore possible de renforcer le tissu social en développant des interdépendances données avec consentement et sans violence. L’objectif ici est de créer de nouvelles perceptions et de nouvelles expériences avec l’autre, pour ne pas dire l’ennemi, afin d’édifier progressivement une nouvelle histoire désirée ensemble. Il s’agit finalement d’arriver à plus qu’une coexistence pacifique en développant de nouveau un climat de confiance, d’empathie et une culture démocratique. La contribution des confessions au processus de mise sur pieds des mécanismes de justice transitionnelle me semble se situer dans cette perspective. Je vais essayer d’en rêver en quatre étapes :

  • Je vais d’abord évoquer la régression socioculturelle dans laquelle les oppressions,  les violences massives et répétitives plongent les individus et les communautés ;

  • Je parlerais ensuite des bienfaits auxquels peut nous ouvrir un processus de justice transitionnelle tout en évoquant les effets négatifs dont il faut aussi être conscient ;

  • En troisième lieux, je proposerai des réflexions sur la possible contribution des confessions religieuses, section qui sera visiblement la plus longue.

  • Je terminerai en m’interrogeant sur le sens que pourrait prendre l’action des confessions religieuses.

1. Sortir de régression du capital social

Les conflits armés, les dictatures, les désastres humains et les violations massives des droits humains ont un long impact sur l’inhibition et l’atrophie des capacités de développement intégral des citoyens. Ils désarticulent les systèmes et les institutions d’éducation, déstabilisent le travail de production, détruisent les réseaux et le sens de solidarité et accroissent le niveau de pauvreté. Cela place un pays comme le nôtre dans un cercle vicieux où les différents paradigmes d’organisation politique et de développement ainsi que différents projets initiés depuis de décennies n’ont pas réussi à promouvoir un décollage réel.

L’héritage des atrocités du passé développe inconsciemment au sein des victimes, mais aussi de leur communauté un profond et durable sentiment de peur et d’incertitude. Cela se remarque d’abord chez ceux qui ont subi des sévices physiques ou des ségrégations identitaires et s’étend rapidement ensuite chez leurs membres de familles et, par osmose, jusqu’à leur communauté et à la société en général. Ce sens d’incertitude conduit à une peur panique permanente qui génère à son tour une démobilisation intérieure et une perte de la capacité d’initiatives.

De plus, les gens perdent progressivement la capacité de développer des attentes et des aspirations par rapport à ce à quoi ils pourraient s’attendre raisonnablement, et quand ils le font, il l’exprime avec violence. Ayant subi des frustrations dans leurs droits élémentaires, ces victimes finissent pas se convaincre qu’elles ne peuvent pas s’attendre à quelque chose de bon et atrophient progressivement la sphère de leurs ambitions. Les enfants qui naissent dans les milieux aisés sont beaucoup plus à même de rêver toujours d’ambitions grandissantes tandis que les pauvres et les victimes des violences développent une logique d’autocensure. Les gens perdent le goût d’aspirer à un statut social épanouissant au niveau professionnel et au niveau économique. L’audace de faire des réclamations auprès des autorités va en diminuant. Cette capacité d’aspiration ne touche pas seulement les besoins et les désirs individuels, les préférences ou les plans, elle est plus profonde encore en touchant les attentes sociales et les attentes au niveau de la conception et de l’application des normes. C’est ainsi qu’un christianisme ou un autre culte très exubérant dans les lieux de culte dans sociétés ainsi frappées restent problématiques du moment qu’il n’est pas toujours assuré qu’ils se fondent dans une base vécue de normes.

Dans une société profondément marquée par les violences, il se développe des réflexes de réclusion qui confinent les membres à leurs familles, à leurs clubs et communautés, réduisant ainsi l’idée de l’espace public. Cela conduit à un désengagement des réseaux sociaux et de la dynamique de solidarité sociale en général.

Ces phénomènes ne touchent pas que les victimes. En effet, la dynamique de peur est contagieuse. Les auteurs des violations des droits humains finissent par développer le même type de réflexe de réclusion et de solidarité fermée que les victimes, non seulement à cause des sentiments d’insécurité par rapport aux révoltes éventuelles, mais aussi par peur du retournement de l’histoire. Dans un tel contexte, il devient difficile, autant pour les victimes que pour les auteurs des violations des droits humains de voir les citoyens d’un même pays ou d’une même région augmenter les possibilités de travailler ensemble.

Un autre phénomène qui apparaît généralement dans des cadres de violences est la perte de confiance dans les institutions. On n’y croit plus. Comment pourrait-on répondre positivement à une autorité ou à une institution dont on est convaincu qu’on ne partage plus la même base des normes. Les propos et les décisions des autorités institutionnelles provoquent chez les victimes des ressentiments qui ne permettent aucun sens de collaboration librement consenti pour l’exécution d’un quelconque programme. Les institutions sont ainsi obligées de recourir chaque fois à un surcroît de force pour faire exécuter les décisions prises, ce qui accroit les frustrations avec le potentiel de violence qui les accompagne. Les pauvres ont l’impression d’être soumis à une pression les obligeant à souscrire à des normes dont les effets sociaux contribuent à la diminution de leur dignité en exacerbant l’inégalité et en les marginalisant d’avantage dans l’accès aux biens et aux services. Quand nous parlons de mise sur pieds des mécanismes de justice transitionnelle, il s’agit en fait de parier sur une renaissance de la société avec régénération des énergies intérieures des populations. Il s’agit de travailler à nouveaux frais au renforcement du capital social avec renaissance de la confiance par rapport aux discriminations et exclusions, de la réciprocité et de la solidarité par rapport aux exclusions et aux réflexes de réclusion réduisant l’espace public, des valeurs partagées en réponse à la méfiance envers les institutions dont on ne partage plus la même base des normes, du sens de sécurité face au sentiment de peur et d’incertitude.

  2. Bienfaits et dangers de la justice transitionnelle.

En essayant de faire le lien entre la théorie et la pratique des mécanismes de justice transitionnelle, Iris van der Mark du « Centre for Justice and Reconciliation » de La Haye aux Pays Bas met en lumière des éléments très éclairants.

Comme éléments positifs, elle évoque les suivants :

  • Reconnaissance des victimes à partir d’une entité étatique,

  • Validation de l’expérience de dévoilement de la vérité à travers une plateforme publique,

  • Vision d’expériences partagées qui enlève le sentiment d’auto-culpabilisation en prenant une conscience plus vive de l’état massif des violations des droits humains,

  • Promotion du sens de reddition des comptes (accountability) qui est habituellement inexistant dans les systèmes d’oppression,

  • Mesures recommandées pour des réparations aux victimes en même temps qu’on entreprend des réformes légales et institutionnelles,

  • Soulagement de pouvoir enfin raconter son histoire.

     Mais il y a aussi des aspects négatifs à prévoir comme:

  • Le potentiel de re-traumatisation en revivant, en redisant ou en entendant des histoires terribles qui dépassent l’entendement humain,

  • Les attentes irréalistes des bénéfices à tirer du processus,

  • Les visions et fonctionnement biaisés possibles de la part des membres des différentes commissions mises sur pieds ou des communautés dans leurs attentes,

  • Les motivations tordues de certains membres des commissions,

  • L’épaisseur du temps à considérer par rapport au temps imparti aux travaux des différentes commissions,

  • Les fonds énormes qu’il faut injecter dans le processus, surtout si le pays doit vivre cela en mode de mendicité,

  • Le fait qu’il est impossible de donner satisfaction à toutes les victimes avec le risque de n’en rester qu’à une minorité privilégiée.

 

    3. Quelle contribution propre aux confessions religieuses ?

On le sait déjà, les mécanismes de justice transitionnelle se voudraient être une approche holistique et novatrice pour faire face à un passé violent, douloureux, et profondément dé-constructeur au niveau des personnes, des communautés, des institutions et des cultures. Il y a des présentations de matrices d’instruments techniques qui se développent autour de 4 axes que sont :

  1. Le droit à la vérité,

  2. Le droit à la justice,

  3. Le droit à la réparation,

  4. Les garanties de non répétition, notamment par les réformes institutionnelles.

          D’autres matrices mettent en lumière cinq domaines d’intervention que sont :

  1. Le domaine politique et économique qui s’attache à développer des mécanismes de démocratisation et de réhabilitation incluant les accords de cessez-le-feu et de paix, les opérations de désarmement, de démobilisation et de réintégration, les commissions « vérité et réconciliation », les réformes des institutions et les programmes de reconstruction économique. Il s’agit ici d’arriver à instaurer des mécanismes qui renforcent la justice sociale et réduisent les structures de violence, qui promeuvent un leadership et une gouvernance participatifs, qui renforcent le climat de sécurité, y compris la sécurité sociale, qui répondent aux besoins de base des populations et ré-enracinent la culture des droits de la personne humaine.

  2. Le domaine légal qui s’attache aux jugements par les tribunaux ou sous modes de censure par les commissions vérité et réconciliation. L’objectif ici est de déconstruire la culture de l’impunité, de s’orienter vers une justice restauratrice qui puisse promouvoir la justice sociale et le respect des droits humains.

  3. Le domaine social et culturel qui remet à l’honneur les archives culturelles des populations dans ce qui est son héritage de résolution traditionnelle des conflits, de célébrations pour commérer les événements marquants et de rituels qui ramènent à la surface les valeurs qui avaient fait la cohésion des populations sur des générations. Les différentes réintégrations des anciens combattants, des déplacés et des rapatriés ainsi que la diminution des violences structurelles travaillent ainsi à la guérison des mémoires par rapport à l’histoire des collectivités. La sortie des préjugés et des stéréotypes contribue ainsi à l’édification d’une nouvelle identité communautaire permettant un engagement communautaire beaucoup plus solidaire en luttant contre les différentes formes de discrimination.

  4. Le domaine psychologique. Il s’agit ici de prendre en charge les blessures des populations et les différents traumatismes diffus au niveau des communautés. La libération de la parole, que celle-ci soit par langage articulé ou par jeux-débats collectifs comme le théâtre narratif, la libération des émotions liées aux souvenirs du passé, le recouvrement positif de son identité, tout cela permet de sortir de la peur et de la méfiance, de négocier un espace pour une nouvelle culture d’échange et de débat en même temps qu’on négocie les responsabilités de la mise en œuvre de ce qui est discuté et adopté ensemble.

  5. Le domaine religieux et spirituel. Ici, il s’agit de mettre à contribution les valeurs des croyances traditionnelles et des autres confessions religieuses pour la reconstruction du tissu social à partir de la base des valeurs. C’est sur cela que se développent de bonnes relations telles qu’on les attend de la vision des confessions religieuses. On fait souvent ici référence aux prières, aux rituels avec leurs différentes symboliques. Plus profondément encore, c’est ici que se joue souvent la dynamique du pardon et de la réconciliation avec ouverture à un domaine où on entre dans ce qui est humainement impossible en intégrant les appels de la transcendance. Nous y reviendrons.

 

            Mais alors, dans toute cette constellation de mécanismes, quelle peut être la contribution spécifique des confessions                      religieuses ? S’agit-il seulement de s’investir dans ce 5° domaine qui s’attache explicitement au religieux et au spirituel ?

     Une chose est sûre, les confessions religieuses ne sauraient se contenter d’être observatrices de la scène sociopolitique sans trahir leur mission. Elles doivent être actives, et même proactives. Le rôle des confessions religieuses se situe dans le travail des valeurs et dans le renforcement des relations sociales. Or, c’est dans ces domaines que le pays a beaucoup souffert. Quand la base des valeurs est désarticulée et que les relations sont marquées par une haine conflictuelle, sur quoi peut-on encore bâtir ? Sur quoi peuvent tabler les programmes de reconstruction et de développement ? Le rôle des confessions religieuses est donc crucial et constitue une des bases incontournables dans l’œuvre de renaissance de la nation.

      Il est vrai que les confessions religieuses doivent affronter des défis externes, mais aussi des défis internes. Les divisions dans le pays affectent aussi les membres des confessions religieuses. Le courage de la vérité n’est pas toujours assuré. La nécessité de mener des analyses approfondies sur les véritables causes profondes des différentes crises demande un développement de capacités et de compétences qui ne sont pas toujours présentes dans les confessions religieuses. Des groupes de recherche pour mener des analyses critiques et proposer des solutions pertinentes seraient d’un grand bienfait. Le besoin d’une structure de coordination techniquement outillé demande des efforts renouvelés du côté des confessions religieuses en développant en leur sein la confiance et la réciprocité.

     Toutes ces précautions étant prises, il reste évident que les confessions religieuses, dans leurs structures et leurs modes opératoires  disposent du pouvoir et de la capacité de mobiliser une partie largement majoritaire de la population pendant que leur message peut toucher différents coins du pays en temps utile. En revenant sur le triangle que proposait John Paul Lederach, Professeur respecté de Notre Dame University et Eastern Mennonite University aux Etats Unis,  au sujet de la résolution des conflits et de l’édification de la paix, les confessions religieuses sont à même d’agir sur les trois niveaux cruciaux pour un changement efficace :

Elles travaillent à la base en touchant les leaders locaux, les responsables d’ONGs travaillant dans les communautés à la base ainsi que les animateurs sociaux des communautés. Elles peuvent y développer des commissions locales de paix, y organiser des formations sur l’édification de la paix, travailler à réduire dans les communautés à la base les stéréotypes et les préjugés et y développer un travail psychosocial propre à prendre en charge les traumatismes des populations.

     Ils travaillent au niveau social intermédiaire en touchant divers leaders respectés et connu dans leur influence régionale, que ceux-ci soient des milieux religieux, des cercles académiques ou intellectuels, des organisations humanitaires ou des milieux d’affaires comme les commerçants des différents centres de négoce. Le travail avec ces leaders au niveau intermédiaire permet de gagner plus de monde influent dans l’édification de la paix à un niveau régional et dans un contexte très concret.

    Ils peuvent enfin travailler au niveau des cadres supérieurs du pays où se prennent les décisions politiques et où s’organise la redistribution des richesses. Ces cadres supérieurs peuvent être du secteur politique, y compris les responsables des partis politiques, comme ils peuvent être du secteur militaire, diplomatique, de la coopération, de la magistrature et d’autres secteurs avec une grande visibilité nationale. C’est à leurs niveaux que les activités de lobbying et de plaidoyer demandent une certaine technicité et une certaine sagesse. Dans certains pays africains, on développe de plus en plus des bureaux de liaison de l’une ou l’autre confession religieuse auprès du parlement pour pouvoir suivre l’évolution politique du pays avec une certaine proximité et possibilité d’influence. C’est au niveau de cette dimension des cadres supérieurs que nous pouvons évoquer le travail possible au niveau international car les confessions religieuses y ont aussi des instances d’action.

     Les confessions religieuses ont généralement une autre particularité. Sans se désintéresser du salut des classes aisées de la société, elles adoptent habituellement la perspective de solidarité avec les opprimés, les marginalisés, les vulnérables afin de les intégrer dans le courant général de la vie reçu de Dieu et de la propriété universelle des biens. Ce travail peut se faire dans un cadre œcuménique. On l’aura vu avec le Chili par exemple, quand sous le cardinal de Santiago, une commission œcuménique a travaillé à rassembler des informations sur les violations massives des droits humains, les meurtres et les disparitions sous le régime de Pinochet, même si cette commission fut interdite deux années après son démarrage par Pinochet.

    Cette perspective des vulnérables s’enracine aussi dans une autre dimension hautement importante. Les confessions religieuses travaillent, ou devraient travailler, sur base de principaux moraux et non sur base d’appartenance politique. Cette perspective éthique ne se fonde pas seulement dans la rationalité humaine, elle remonte jusqu’à la Parole de Dieu en saisissant les valeurs éthiques qui guident l’existence à partir d’une dimension d’appel à la transcendance. Les confessions religieuses doivent amener la société à se surpasser dans sa dimension humaine pour embrasser le plan de Dieu, amenant ainsi les humains à vivre aussi comme des citoyens du ciel, ce qui est le rêve même de Dieu.

  1. Cela étant dit, dans quels sens vont alors s’orienter les actions de l’Eglise ?

    Même sans entreprendre des œuvres extraordinaires et nouvelles, les confessions religieuses ont une mission ordinaire d’enseignement et de sanctification qui doit les amener dans le quotidien de leur vie à travailler pour la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et de la réconciliation. C’est leur mission ordinaire. Si notre pays a failli à ces valeurs, les confessions religieuses devraient faire un examen de conscience par rapport à la mission qui aurait dû être la leur, de tous temps. Mais nous savons déjà que les confessions religieuses font beaucoup de travail d’éducation à la paix et à la réconciliation, que ce soit dans les paroisses, dans les communautés, dans les écoles, dans les universités et ailleurs. Par ce travail des confessions religieuses, on a vu des communautés à la base devenir des lieux de pardon, de soutien mutuel, d’hospitalité et de solidarité avec les victimes des différentes violences.

Il découle de cela que le plaidoyer pour la mise en place des mécanismes de justice transitionnelle est normal pour les confessions religieuses. Mais il s’agit ici de percevoir qu’on est en dehors d’opportunité et de ruse politique. Cela demande beaucoup de sagesse du côté des confessions religieuses car il s’agit de travailler sur des questions d’une délicatesse particulière qui conduisent aux frontières où se négocient la vie et la mort.

     Une clarification des concepts majeurs utilisés dans les mécanismes de justice transitionnelle s’impose avec vigueur à l’attention des confessions religieuses. En effet, les concepts, de vérité, de justice, de réparation, de pardon et de réconciliation rejoignent-ils le même entendement dans les arènes politiques comme dans la sphère des religions ? Même si on parle aujourd’hui de la réconciliation politique, y compris entre des Etats, s’agit-il de la même réconciliation telle qu’entendue par les confessions religieuses à partir d’une lecture théologique de leurs livres fondateurs ? Je n’entre pas ici en détails puisque cette conférence a commencé par cet éclairage.

      La question des blessures du cœur et des traumatismes interroge d’une façon particulière les confessions religieuses. La mise en œuvre des mécanismes de justice transitionnelle créé une cadre qui réveille les mémoires non encore exorcisées sur les drames connus ou vécus et qui ont laissé des traces qui diminuent sensiblement les capacités d’affronter l’existence de façon normale. Quelle technicité les confessions religieuses pourront-elles développer pour accompagner les différents blessés de la vie dans leur thérapie par la vérité. Cela demande un travail de préparation. L’accompagnement du processus de guérison ne sera pas un travail par à-coups, mais un travail régulier et de longue haleine. Certaines révélations durant le travail de la commission Vérité et Réconciliation ont provoqué des émotions très fortes et on a vu même Mgr Desmond Tutu pleurer durant les séances d’écoute. Les gens qui posent leur candidature pour être membres de ce genre de commissions doivent être des gens psychologiquement forts, à moins d’être naïfs ou d’un opportunisme bizarre.

     Nous en venons maintenant à une question délicate mais qui constitue l’horizon de tout le travail des mécanismes de justice transitionnelle. Il s’agit de la perspective du pardon et de la réconciliation (les confessions religieuses disent même du pardon pour la réconciliation). Déjà, les promoteurs des mécanismes de justice transitionnelle ont dégagé parmi les problèmes majeurs de ce processus le dilemme entre pardon et justice. Comment en effet ne pas voir le pardon comme obstacle à la justice ? Comment recevoir le jugement sans qu’il soit obstacle à la réconciliation ? Le pardon n’est pas une amnésie pour faire table rase du passé. Le défi du travail des confessions religieuses est d’arriver à la guérison des victimes en même temps qu’elles travaillent à la conversion des coupables. Il s’agit pour les confessions religieuses de créer un cadre qui promeut la dignité des victimes par reconnaissance responsable de leur souffrance en même temps que la dignité des bourreaux est reconstruite par leur conversion. On comprend ici l’importance de l’établissement de la vérité sans perspective de vengeance mais avec un horizon de la réconciliation. Cette question n’est ni simple, ni facile. Quand Desmond TUTU a dit qu’il n’y a pas d’avenir sans pardon, c’était presque avec des larmes. Des gens l’accusaient disant qu’il n’y avait pas eu suffisamment de justice. Et lui a rétorqué : « Est-ce que la justice serait suffisante si les bourreaux avaient été exécutés ou emprisonnés ? Qu’est-ce que vous voulez dire par suffisant ? Est-ce le principe « œil pour œil » ? Y a-t-il une calculatrice pour calculer la correspondance de la punition à la peine ? « Suffisant » veut dire quoi ? C’est suffisant pour qui ? Je ne travaille pas pour une justice rétributive. Je travaille pour une justice restauratrice. Je voudrais avancer le processus de guérison pour les victimes et pour les bourreaux ». La difficulté ici est typique du travail des confessions religieuses. C’est celle de prêcher qu’il ne faut pas retourner le mal contre le mal. Quand quelqu’un comme Jésus, qui est la référence de beaucoup d’entre nous ici, nous demande d’aimer nos ennemis et de faire du bien à ceux qui nous maudissent, il nous entraîne dans un autre cadre qui va au-delà des simples mécanismes humains et des simples mécanismes de justice transitionnelle. Cela peut être des fois plus fort que nous. C’est le moment où il faut s’en remettre à Dieu comme Jésus lui-même l’a fait sur la croix en demandant à son père de pardonner à ses bourreaux car ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient.

      Accompagnement à travers des rituels et des actions symboliques. C’est ici que nous tentons de créer un cadre pour le problème précédent. Le domaine du rituel et du symbolique nous entraîne dans un cadre de haute charge significative quand la parole s’évanouit pour laisser la place au jeu de l’expression des valeurs par les symboles. Les confessions religieuses développent un habitat ordinaire pour les symboles. Le pardon et la réconciliation dépassent le niveau du discours pour s’investir dans le mystère.

                 5. Que conclure ?

     Les confessions religieuses ont un grand travail devant eux. Ils ont même une tâche qui est appelée par le besoin d’a           gestionnaires des passions. Il y a beaucoup de passions dans ce pays. Ce qui s’est passé dans l’histoire de ce pays a       accumulé beaucoup de passions. Saurons-nous avoir de bons gestionnaires des passions afin que la tâche de mise sur     pieds des mécanismes de justice transitionnelle se fasse avec sagesse et fermeté ? Que dieu, le Tout-Puissant et le             Miséricordieux nous vienne en aide.

  Je vous remercie.

 

On lira avec intérêt sur ce sujet : Pable De GREIFF & Roger DUTHIE (éditeurs), Transitional Justice and Dévelopment : Making Connections, Advancing Transitional Justice Series, Social Cience Research Council, New York, 2009 (en particulier les pages 29 à 75).

Voir Iris van der Mark, Reconciliation : Bridging Theory to Practice ; A Framework for Practitionners, Centre for Justice and Reconciliation, The Hague 2007, p.29.

Voir Iris van der Mark, Ibidem.

Voir John Paul Ledereach, Building Peace : Sustainable reconciliation in divided societies, US Institute for Peace, Washington D.C., 1997.

 

 

Fr. Emmanuel Ntakarutimana
Centre Ubuntu, B.P. 2960 Bujumbura
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